"Il est de la plus haute importance que l'âme s'exerce beaucoup à l'AMOUR, afin que, se consommant rapidement, elle ne s'arrête guère ici-bas, mais arrive promptement à voir son Dieu face à face." (S. Jean de la Croix)

MES RETRAITES

Avis aux lecteurs...

Première Série des Retraites

du Père Onésime LACOUTURE, s.j.

Doctrine surnaturelle

pour se défaire de toute mentalité païenne.


Cinquième Instruction

Jésus condamne

la Mentalité païenne



" Gardez-vous de faire vos bonnes œuvres pour être vus des hommes autrement vous n’en recevrez point la récompense de votre Père qui est dans les cieux. "
Mt. 6.

Plan

Importance du sermon sur la montagne.

Il condamne la mentalité païenne…

Il exige une mentalité chrétienne…


Importance du sermon sur la montagne.

Nous prenons ce sermon pour expliquer d’une façon pratique la doctrine de St Ignace contenue dans le titre des Exercices. "Exercices spirituels pour se vaincre soi-même et pour se déterminer sans aucune affection désordonnée." Nous allons voir qu’il concorde parfaitement avec notre interprétation de l’"affection désordonnée" que nous avons prise selon l’ordre surnaturel et qui exclut les motifs naturels sans exception, même ceux qui sont bons en soi. Tandis que le sens que nos philosophes lui ont donné selon l’ordre naturel contredit absolument la doctrine du sermon sur la montagne. Nous allons voir que Jésus condamne tous les motifs naturels quelque bons qu’ils soient en eux-mêmes.

Les Pères de l’Église s’accordent à dire que ce sermon contient la moelle et l’essence de l’Évangile. Il apporte le bonheur aux hommes comme le premier mot de chaque Béatitude l’indique, non seulement pour le ciel, mais aussi pour la terre même. Tous les chrétiens devraient le connaître parfaitement et en vivre habituellement. Mais ils l’ignorent complètement parce que les prêtres ne l’exploitent pas: ils parlent du ciel le jour de la Toussaint parce que l’Évangile est pris là et donne les béatitudes.

Les prêtres ne goûtent pas ce sermon parce qu’il est la condamnation claire de toute leur mentalité de philosophes. Chaque partie les attaque en plein front. Les philosophes se contentent de faire valoir la grâce sanctifiante et Jésus n’en parle pas. Eux attaquent les péchés mortels seulement en général et Jésus dit que cela ne suffit pas, qu’il faut attaquer les causes du péché, qui sont nos deux amours naturels avec leurs motifs naturels qu’ils nous fournissent.

Dans ses dernières paroles Jésus dit que ce sermon contient les moyens d’éviter les péchés; pourquoi les prêtres ne les donnent-ils pas aux fidèles? Tous sont tenus d’éviter les péchés et Jésus indique les remèdes. Mais nos philosophes sentent bien que toute cette doctrine est centrée sur les motifs et leur théologie spéculative ne les mène pas aux motifs. Il est clair que nous sommes libres de bâtir notre maison spirituelle sur le sable ou sur le roc, donc là est la liberté. Or, elle est surtout dans les motifs.

Devant le débordement de la corruption dans les mœurs, les prêtres lèvent les épaules en disant qu’il n’y a rien à faire. Ils jettent le blâme sur les modes indécentes, sur la richesse qui permet les plaisirs, sur la passion du plaisir, etc. Mais Jésus dit que les prêtres sont le sel de la terre pour l’empêcher de se corrompre et la lumière pour éclairer les fidèles dans leurs devoirs envers Dieu. Jésus affirme que sa doctrine dans ce sermon suffit pour préserver du péché; ce devrait être assez pour déterminer tous les prêtres à s’en servir pour eux-mêmes d’abord puis ensuite pour les fidèles. Il appelle insensés ceux qui ne la pratiquent pas: c’est aux philosophes que cela s’applique. Ils sont les insensés qui bâtissent leur maison sur le sable et laissent les fidèles faire de même. Le nombre et la gravité des péchés dans le monde indiquent combien peu de prêtres exploitent le sermon sur la montagne. Les péchés disparaîtraient en proportion qu’ils donneraient cette doctrine aux fidèles.

L’idée fondamentale de ce sermon est: puisque vous êtes les enfants de Dieu, cessez d’agir comme des hommes et agissez comme des enfants de Dieu. Puisque nous sommes destinés à participer à la vie trinitaire par J-C. il veut que nous commencions tout de suite en autant que notre condition humaine peut le permettre. Or cette vie divine ne change en rien les nécessités de la vie naturelle, il faut manger, travailler, se reposer, etc. Or dans notre vie divine il y a deux parties: la grâce sanctifiante, qui est la condition absolument nécessaire pour mériter, mais qui est toute l'œuvre de Dieu seul, sans aucun mérite de notre part; puis il y a notre coopération libre qui nous donne notre mérite avec les grâces actuelles données par Dieu dans nos différents actes surnaturels et méritoires pour le ciel.

Par exemple, l’acte extérieur de manger est le même pour un païen ou un saint. Chez les chrétiens leurs actes méritent selon leurs motifs. Car en état de grâce on peut manger pour des motifs naturels et l’on n’a aucun mérite, comme nous l’avons expliqué et que nous le prouverons encore plus ici; tandis que si nous mangeons pour Dieu, il nous récompense en proportion. Voilà ce que nous allons voir dans le détail dans le sermon sur la montagne.

Jésus condamne la mentalité païenne.

Nos philosophes ne voient rien de tout cela parce qu’ils sont habitués à juger seulement des actes en soi qui sont ou bons ou mauvais, et comme Jésus n’en parle pas dans son sermon, ils regardent tout ce qu’il dit comme une perfection de conseil, pour les âmes d’élite. Eh bien! essayons d’ouvrir les yeux aux milliers de prêtres qui n’ont jamais rien compris à ce sermon si important. C’est que Jésus ne s’occupe que de notre activité mentale libre qui peut être naturelle ou surnaturelle même quand nous sommes en état de grâce. Pour les philosophes, dès que nous sommes en état de grâce tout est surnaturel, ce qui est absolument faux comme nous allons le voir dans le détail.

Dans toute activité on peut considérer trois points: la fin, les moyens et le résultat. Voyons comment Jésus condamne ces trois points de la mentalité païenne chez les chrétiens. Car ce qu’il dit dans le sermon sur la montagne s’applique à tous les chrétiens en état de grâce comme à ceux qui ne le sont pas. On pourrait même dire qu’il s’adresse uniquement aux chrétiens qui ont la grâce sanctifiante. Puisqu’il en appelle toujours au fait qu’ils sont les enfants de Dieu… et c’est là qu’il découvre et condamne les motifs naturels.

Dans sa fin. Peu importe où les hommes devraient mettre leur fin dernière, je prends le fait du très grand nombre qui la mettent dans les plaisirs sensibles des choses de la terre. Par nature, tous recherchent les trois sortes de biens naturels qu’il y a: les biens extérieurs, les biens du corps et ceux de l’âme. Jésus condamne ceux qui mettent leur fin dans ces trois sortes de biens en enseignant que le bonheur est justement dans le sacrifice de ces biens.

"Bienheureux les pauvres d’esprit, car le royaume des cieux est à eux." Je ne connais pas de meilleure explication que celle de St François de Sales. Les pauvres d’esprit sont ceux qui n’ont pas l’esprit dans les biens de ce monde ni les biens dans l’esprit. Donc ceux qui ne les estiment pas, qui n’y pensent pas, qui ne s’en occupent pas. Ce sont ceux qui sont détachés de ces biens, qui les regardent comme du fumier, selon l’expression de St Paul. Jésus ne fait pas de distinction entre les biens permis et les biens défendus: ce sont tous des biens créés qui ne sont rien en face du Créateur.

C’est bien l’idée de mépris qu’il inculque puisqu’il y revient en disant: "Ne vous amassez pas de trésors sur la terre où la rouille et les vers les rongent et que les voleurs dérobent." Ils ne valent donc rien puisqu’ils retournent tous en pourriture d’une façon ou d’une autre.

On va objecter: il faut toujours bien gagner sa vie! C’est vrai, mais sans mettre son cœur dans les biens du monde et sans inquiétude comme lorsqu’on aime. "Ne vous inquiétez pas pour votre vie, de ce que vous devez manger, ni pour votre corps de quoi vous vous vêtirez… Les païens recherchent toutes ces choses, mais votre Père sait que vous en avez besoin…" Il veut que tout le cœur soit aux choses de Dieu, que nous ne recherchions que les choses d’en haut, puis alors, il prendra soin des choses matérielles pour nous. "Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice et le reste vous sera donné par surcroît."

Jésus en fait une question d’amour tandis que nos philosophes en font une question de péché ou de pas péché; d’une vie correcte, quand Dieu veut de nous une vie d’amour divin exclusivement. "Vous ne pouvez pas aimer Dieu et le monde. Vous en aimerez un et vous haïrez l’autre." Par cette première béatitude il veut donc que nous haïssions les choses de ce monde, que nous les regardions comme du fumier comparé à l’amour de Dieu afin de gagner Dieu. Comme nos prêtres philosophes n’ont que la théologie spéculative de l’ordre naturel, ils ne comprennent rien du tout aux béatitudes qui enseignent l’amour de Dieu surnaturel dont ils n’ont aucune idée; ils ne connaissent que l’amour naturel de Dieu qui ne donne pas le ciel. Cette béatitude est donc la mort de la mentalité païenne. Elle tue notre amour naturel pour les biens terrestres.

"Bienheureux les doux, parce qu’ils posséderont la terre." Celle-ci tue notre amour naturel pour nous-mêmes ou l’amour-propre, qui est notre deuxième amour naturel. En chacun de nous il y a comme un échantillon de Dieu, notre moi veut régner partout sur le monde; il veut pour lui-même ce que Dieu exige de nous tous. Notre païen veut pour lui ce que Dieu demande de chacun de nous dans le Notre Père: "que mon nom soit sanctifié, que mon règne arrive, que ma volonté soit faite sur la terre." Par conséquent il attire à lui tous les biens créés possibles pour se satisfaire; les biens extérieurs, les honneurs, les jouissances et la gloire humaine. Il est donc le voleur de la gloire de Dieu et son rival absolu. On voit tout de suite qu’un tel homme n’est pas apte du tout à la participation à l’activité trinitaire dans le ciel. Alors Dieu vient à son secours en lui envoyant toutes sortes d’ennemis pour le terrasser.

Dieu va lui arracher de force les biens qui font son bonheur pour l’obliger à transférer sur Dieu toute cette gloire qu’il voulait pour lui-même. Dieu lui donnera de l’esprit de foi pour qu’il voie le grand service que Dieu lui rend en le dépouillant de ce qui aurait fait son malheur éternel. En proportion qu’il endure les coups et les épreuves de la vie en union avec Dieu, il montre qu’il sème les biens terrestres, il aura donc le centuple du bonheur que ces biens lui auraient procuré et en plus une tranche du ciel. Il se laissera faire comme un prisonnier à qui on coupe les liens.

Les doux sont donc ceux qui ont fait le sacrifice de leur amour-propre ou de l’amour de leur moi païen et qui préfèrent J-C. à eux-mêmes. Ils laissent donc massacrer leur païen sans se plaindre et même en remerciant Dieu de ce qu’il détruit son ennemi dans leur coeur. C’est la pratique de cette autre parole de Jésus: "Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce lui-même, qu’il prenne sa croix tous les jours et qu’il me suive."

Un mourant ne s’occupe plus de ses biens, de sa réputation et de la gloire humaine. Eh bien! le chrétien qui meurt à lui-même par le renoncement prend dans la même mesure ces dispositions d’un mourant. Il se sert des créatures comme ne s’en servant pas; il possède comme ne possédant pas; il reste calme quand il les perd, il ne se plaint pas quand il est bafoué ni ne menace quand il est frappé, mais il est content de tout sacrifier pour l’amour de Dieu.

Cette béatitude est la conséquence de la précédente; quand on méprise tout le créé, on n’est pas choqué d’en être privé, pas plus qu’on en veut à un chirurgien qui enlève un membre pourri. Une fois qu’on a renoncé à soi-même et dans la même mesure, on endure facilement tout ce qui vient des autres et l’on ne se venge jamais. Cette douceur finalement gagne tous les coeurs et l’on peut faire ce que l’on veut des autres "on possède la terre".

La raison en est que lorsqu’on fait le sacrifice total de son amour-propre, Dieu prend la place dans notre être et nous protège et nous bénit de toutes les façons de sorte qu’on est heureux en tout ce que l’on fait.

"Bienheureux ceux qui pleurent parce qu’ils seront consolés." C’est l’amour qui fait pleurer; les larmes sont comme le sang de l’âme. Quand elle souffre, on pleure. Eh bien! surtout dans les débuts et même toute sa vie, les sacrifices exigés par les deux premières béatitudes sont tellement pénibles à la nature humaine qu’on pleure souvent si on les fait réellement. On peut pleurer ses péchés, ce qui attire de grandes bénédictions de Dieu. On peut pleurer aussi les péchés des autres quand on aime Dieu qui en est offensé. On peut pleurer sur le fait que l’amour de Dieu se fait attendre trop dans le coeur, qu’il semble difficile d’accès et que notre exil se prolonge trop sur terre.

C’est que les larmes sont un signe d’un profond changement dans la vie d’un homme, qu’il passe d’un amour à l’autre et que son coeur en est comme déchiré. Ceux qui pleurent sont donc déterminés à pratiquer la doctrine de l’Évangile quoi qu’il en coûte à la nature.

Les philosophes et ceux qu’ils dirigent ne sont jamais portés aux larmes parce que toute leur religion est superficielle et abstraite. Elle n’est que dans l’esprit et pas du tout dans le coeur ou trop peu. Même quand ils se confessent, le coeur n’est aucunement affecté de sorte qu’ils n’ont jamais envie de pleurer. Tandis que celui qui vit dans le fond de son coeur comprend le prix de l’amour divin et le mal que fait l’amour humain, et il en pleure quand il se sent tellement attiré vers les jouissances sensibles qu’il n’a pas le droit de prendre. Mais en même temps, Dieu lui fait sentir qu'il lave ses péchés dans ses larmes et que parce qu’il a beaucoup aimé en pleurant beaucoup, Dieu lui sera d’une grande bonté pour lui pardonner ses péchés.

Dans ses moyens ou motifs. Après avoir condamné nos deux amours naturels, Jésus condamne les motifs qui jaillissent de ces deux amours. C’est logique puisque un motif est l’amour agissant sur la volonté pour la déterminer à quelque satisfaction dans cet amour. "Gardez-vous de faire vos bonnes œuvres pour être vus des hommes, autrement vous n’en recevrez point la récompense de votre Père qui est dans les cieux." Celui-là cultive son amour-propre; il voudrait s’attirer des louanges au lieu de les passer à Dieu. Jésus ne veut pas plus des motifs que de l’amour-propre.

Des prêtres essayent d’éviter cette conclusion en soutenant que Jésus condamne ces motifs à cause du péché de vaine gloire. D’abord on peut leur répondre par les deux exemples que Jésus donne dans le chapitre précédent où il n’y a pas l’ombre d’un péché. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous? Les publicains ne le font-ils pas aussi? Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous de plus? Les païens ne le font-ils pas aussi? Jésus condamne donc là des motifs naturels parfaitement bons en soi.

De plus, la gloire humaine n’est pas péché du tout dans l’ordre naturel. Est-ce que les prêtres ne nous ont pas fait admirer les héros païens dans nos classiques et ces héros n’agissaient que pour être vus des hommes? Si c’était péché, ces prêtres n’auraient pas eu le droit de nous les faire admirer…

Jésus parle de toutes les bonnes œuvres en donnant un exemple des trois genres qui les comprennent toutes. Il ne parle pas de péché mais uniquement de leur récompense. Il enseigne clairement que nos bonnes œuvres seront récompensées non pas selon qu’elles sont bonnes "in se" mais selon leurs motifs. Si elles sont faites pour la gloire humaine, elles n’ont aucune récompense devant Dieu; si elles sont faites pour la gloire de Dieu, Dieu les récompensera dans la même mesure.

S’inquiéter de ce qu’on va manger ou boire demain n’est certainement pas péché, cependant Jésus ne veut pas qu’on le fasse parce que les païens le font, donc parce que c’est simplement naturel. Il veut que nous mettions notre confiance en Dieu notre Père céleste puisque nous sommes ses enfants; donc pour des motifs surnaturels seulement.

En St Luc, 14-12, Jésus condamne encore les motifs naturels bons quand il défend d’inviter des riches au festin de peur qu’ils nous invitent à leur tour, mais il veut que nous invitions les pauvres pour être sûrs qu’ils ne pourront pas nous inviter en retour et alors que nous le fassions uniquement pour l’amour de Dieu; il ne veut donc que des motifs surnaturels en nous.

Comme les philosophes sont loin de la façon de juger de Jésus! Lui dit que les bonnes actions sont récompensées selon leurs motifs et les philosophes n’en parlent jamais; ils se contentent de juger les actions en soi, exactement comme on aurait pu faire sur le chemin des limbes. Pour nos philosophes, du moment qu’une action est bonne en soi ils la pensent méritoire pour le ciel. Jésus, lui, exige en plus des motifs surnaturels comme nous venons de le voir.

Le fameux principe des philosophes est donc faux quand ils disent que toute action honnête faite en état de grâce est méritoire pour le ciel. Ce n’est pas vrai, si on la fait pour un motif naturel, comme Jésus le dit en toutes lettres dans ce sermon. Dans les bonnes actions le motif est plus important que l’action même, comme on le dit dans tous les noviciats à ceux qui vont faire ou remplir des ministères matériels et humbles comme des emplois domestiques. Ils auront autant de mérite que ceux qui prêchent s’ils le font pour Dieu.

Dans sa perfection naturelle. Un païen suit naturellement sa raison seule et la loi naturelle qui est écrite dans son coeur. Comme les motifs ne comptent guère dans cet ordre naturel, les païens ne surveillent que les actions en soi et d’ordinaire ils se contentent d’éviter les péchés mortels, car le reste ne les empêche pas d’obtenir leur fin dernière naturelle aux limbes.

Les pharisiens, qui étaient les philosophes du temps en religion, ne demandaient pas plus au peuple qu’ils ne pratiquaient eux-mêmes. Voilà pourquoi Jésus condamne leur justice non pas parce qu’elle était méchante, mais insuffisante, étant toute naturelle. "Je vous dis que si votre justice n’est pas plus grande que celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux."

Or, ils se contentaient d’éviter et de faire éviter le péché mortel, comme on le voit bien par les paroles de Jésus.

"Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens: Vous ne tuerez point… mais moi je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère, méritera d’être condamné par le jugement." Donc il défend tout ce qui conduit au meurtre.

"Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens: Vous ne commettrez point d’adultère, mais moi je vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis le péché d’adultère dans son coeur." Là encore, il condamne tout ce qui conduit à ce péché mortel. Il condamne toutes les affections et les motifs qui conduisent au péché d’une façon ou d’une autre; donc tout ce qui n’est que naturel dans l’intention.

Est-ce que nos prêtres ne sont pas rendus là comme les pharisiens d’autrefois? À n’attaquer que les péchés mortels? Où sont ceux qui osent attaquer les causes du péché et les occasions de péché? Leurs confrères, les philosophes, les dénonceraient vite comme exagérés de vouloir attaquer une chose qui n’est pas péché en soi. C’est pourquoi pratiquement aucun prêtre n’attaque les motifs naturels avec les affections naturelles parce que "in se" il n’y a pas de péché là. Jésus condamne donc toute cette mentalité païenne qui se contente d’observer les préceptes négatifs de la seule loi naturelle. Nos philosophes sont donc condamnés en général parce qu’ils ne demandent pas autre chose. Dès qu’un chrétien ne vit pas dans le péché mortel, où est le prêtre qui lui demande plus de perfection? Où est le chrétien qui s’attend à plus?

Il exige une mentalité chrétienne.

D’après ce que nous venons de montrer du sermon de la montagne, on peut voir que St Ignace est en bonne compagnie quand il condamne absolument tout motif naturel comme désordonné et bon à rien pour le mérite éternel et donc comme devant être rejeté absolument. Ceux qui comparent les Exercices avec le sermon sur la montagne reconnaissent la même condamnation de toute activité naturelle comme insuffisante pour satisfaire Dieu dans l’ordre surnaturel où nous sommes maintenant.

Tous les exemples que St Ignace donne d’une affection déréglée sont tous de bonnes actions en soi et tous de bons motifs, mais il les condamne simplement parce qu’ils ne sont pas surnaturels. Pour lui, tout ce qui ne vient pas uniquement de Dieu d’une façon ou d’une autre est déréglé, comme il le dit dans les trois classes d’hommes. Ces hommes ont acquis leurs biens honnêtement et donc pour de bons motifs naturels, mais parce qu’ils ne les ont pas acquis uniquement par amour de Dieu, St Ignace dit que cet attachement est un obstacle non seulement à leur perfection, mais même à leur salut. Philosophes, méditez ces paroles de St Ignace! Il parle exactement comme Jésus qui condamne comme bons à rien pour le ciel les motifs naturels.

Dans sa fin concrète. Puisque Dieu destine l’homme à participer à son bonheur céleste, Dieu veut que l’homme mette tout son coeur à le rechercher dès ici-bas pendant qu’il a la liberté qui le fait mériter devant Dieu. Comme Jésus nous a donné l’exemple à l’âge de 12 ans dans le temple, nous devons dire comme lui: Est-ce que nous ne devons pas être tout aux choses de Dieu? Voilà pourquoi après avoir enseigné à ne pas mettre son bonheur dans les choses créées par les trois premières béatitudes, il veut par la 4ème que nous désirions ardemment les biens célestes.

"Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés." Quand on a faim et soif, rien ne peut nous plaire sinon manger et boire. Eh bien! il veut que nous ayons cette faim et cette soif pour les biens célestes de sorte que rien autre chose ne puisse nous satisfaire hors de là. L’Évangile est rempli de ces exhortations à mépriser les choses de la terre pour n’aimer que celles du ciel. Que de fois l’Église nous fait demander justement ces deux choses: le mépris des choses de la terre et l’amour des biens célestes.

Jésus y revient dans le même sermon: "Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice et le reste vous sera donné par surcroît." "Faites-vous des trésors dans le ciel où les vers ni la rouille ni les voleurs ne peuvent vous les enlever. Car là ou est votre trésor, là est votre coeur." C’est donc une question d amour et non pas de justice seulement, comme nos philosophes le pensent. Il ne suffit pas d’être correct avec Dieu, il faut le préférer à tout au monde. "Vous ne pouvez pas aimer Dieu et le monde; ou vous aimerez l’un et vous haïrez l’autre." On ne peut donc pas aimer les deux comme les philosophes le font et enseignent à faire. L’amour de Dieu est aux dépens de l’amour des choses de la terre.

Les Apôtres ont bien compris cette 4ème béatitude, elle revient constamment dans leurs écrits. St Paul dit: "Si vous êtes ressuscités avec J-C., recherchez les choses d’en haut où J-C. est assis à la droite de son Père; n’ayez de goût que pour les choses d'en-haut et non pour celles de la terre." St Pierre écrit: "Comme des enfants nouvellement nés, désirez le lait spirituel et pur, afin qu’il vous fasse croître pour le salut." St Jean: "N’aimez point le monde ni ce qui est dans le monde; si quelqu’un aime le monde, la charité du Père n’est pas en lui." C’est ce qu’a dit Jésus dans le sermon sur la montagne. Tout se résume donc à ceci: puisque vous êtes des enfants de Dieu, agissez comme lui et ne recherchez que lui. Pour faire cela en pratique, il faut être surnaturel.

Dans ses moyens ou ses motifs. Comme un motif est la fin qui agit sur l’esprit et la volonté, il est évident qu’il va condamner les motifs naturels comme la fin naturelle. Il exige absolument des motifs surnaturels pour le ciel.

"Lorsque vous ferez l’aumône, que votre main gauche ignore ce que fait votre droite (donc que personne ne le sache; il n’y aura pas de danger de le faire pour les hommes dans ce cas!) afin que votre aumône soit dans le secret et votre Père qui voit dans le secret, vous le rendra." Il dit la même chose pour la prière et pour le jeûne. Il enseigne clairement que Dieu ne récompense que les actions qui sont faites pour des motifs surnaturels seulement. Jésus n’a jamais dit comme tant de prêtres le prêchent de nos jours que les motifs naturels vont bien avec les motifs surnaturels. Jésus dit tout le contraire ici. C’est l’un ou l’autre; si on fait ses bonnes oeuvres pour les hommes, Dieu ne donne absolument rien.

St Ignace écrit: "Que chacun se dépouille de toute affection naturelle qu’il pourrait avoir pour ses parents afin de ne les aimer que pour Dieu". Il ne permet pas les deux ensemble, comme tant de prêtres et même de Jésuites le font de nos jours. Ce qu’il dit de l’affection s’applique évidemment aux motifs. Nous avons déjà montré dans l’Opposition des motifs naturels avec les motifs surnaturels comment St Ignace rejette toujours et partout tout motif naturel quelque bon qu’il soit et qu’ensuite il exige uniquement des motifs surnaturels.

Jésus enseigne que l’intention est à l’action comme l'œil est au corps. Si l'œil est simple le corps est éclairé; si l'œil est mauvais, le corps est dans les ténèbres. Or les Pères de l’Église disent que l’intention ou le motif est l'œil de l’action. Donc, d’après Jésus le mérite de nos actions bonnes en soi dépend des motifs. Que ce soit bien là la doctrine de l’Église, on peut le voir dans ce qu’elle a approuvé en St Jean de la Croix qu’elle a fait Docteur de l’Église.

"Les affections qui tendent à la créature sont devant Dieu comme de pures ténèbres et tant que l’âme y est plongée, elle se rend incapable d’être illuminée et revêtue des simples et pures clartés de Dieu… et les ténèbres qui sont les attachements aux créatures, et la lumière qui est Dieu sont contraires et dissemblables…" Tout motif naturel est donc ténèbres devant Dieu. Donc pour Jésus, qui suppose que le champ d’activité normale pour un chrétien va être les actions bonnes en soi, ce sont les motifs qui comptent surtout. Des motifs qui ne sont pas pour Dieu, comme tous les motifs naturels, ne seront pas récompensés par Dieu dans le ciel. Il faut donc leur faire la guerre sans merci.

Dans sa perfection. Quand on met sa fin en Dieu et qu’on prend là ses motifs d’agir on développe une sainteté divine qui est justement celle que Jésus veut pour nous. "Vous avez appris qu’il a été dit: Vous aimerez votre prochain et vous haïrez votre ennemi. Mais moi je vous dis: Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient, afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et fait pleuvoir sur les justes et les injustes… soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait!"

Dieu veut donc que nous agissions tout de suite comme dans le ciel. Or, là personne n’agira avec des motifs naturels mais exclusivement pour des motifs surnaturels; voilà ce que Jésus veut pour tous les chrétiens. On ne peut pas aimer ses ennemis pour des motifs naturels, mais uniquement pour des motifs surnaturels. Il veut que nous imitions notre Père des cieux; or, lui n’agit que pour des motifs divins, donc ses enfants aussi doivent le faire. C’est ce qu’il nous fait demander dans le Notre Père: "Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel." Celui qui agit pour des motifs naturels n’agit pas comme dans le ciel; il s’en rend indigne dans la même mesure.

Le Pape Pie XI dit que cette parole: "Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait", s’adresse à tous les hommes sans aucune exception. Ce n’est donc pas seulement pour les religieux comme beaucoup l’ont cru longtemps ou pour une élite; elle est pour tout le monde dans tous les rangs de la société humaine.

Les autres béatitudes confirment ce que nous disons ici; elles nous rendent semblables à Dieu: purs, miséricordieux et pacifiques, puis semblables à J-C. dans la dernière béatitude: crucifié comme lui. C’est donc bien la sainteté de Dieu que Jésus veut pour nous tous. C’est donc condamner par le fait même tous les motifs naturels et exiger uniquement des motifs surnaturels pour tous les hommes sans exception.

Les Apôtres insistent aussi sur la sainteté de vie dans la mentalité et non pas seulement dans la grâce sanctifiante. St Pierre 1,1-12: "Comme celui qui vous a appelés est saint, vous aussi, soyez saints dans toute la conduite de votre vie." St Paul, Rom. 8-14: "Sont enfants de Dieu ceux qui sont conduits par l’esprit de Dieu." St Jean 1, 2-6: "Celui qui demeure en lui doit marcher comme il a marché." Donc il doit agir comme Jésus. Comme St Jean insiste que nous soyons purs, aimants, justes, etc.! Tout cela est dans la mentalité.

À la fin du sermon sur la montagne Jésus dit que celui qui ne pratique pas sa doctrine qu’il vient de donner est semblable au fou qui bâtit sa maison sur le sable; le vent, la pluie et les vagues la feront tomber. Il traite de sage celui qui la bâtit sur le roc parce qu’elle ne tombera pas. Remarquons qu’il n’attribue pas la chute de la maison aux tempêtes, mais uniquement au fait qu’elle est bâtie sur le sable. Or ailleurs il dit que notre victoire sur le monde est dans notre foi. Le roc est donc la foi et le sable le naturel des motifs. Si les prêtres comprenaient bien la doctrine de J-C. ils attribueraient les péchés des hommes non pas aux tentations, comme à l’indécence des modes, à la passion du jeu, etc. mais uniquement aux motifs naturels de chacun, voilà le sable qui est la vraie cause subjective des chutes dans le péché. Or les motifs naturels n’intéressent pas du tout les prêtres: personne ne les condamne, au contraire tous les prêtres les encouragent, je parle toujours des bons motifs naturels. Jésus condamne donc indirectement la très grande majorité des prêtres qui bâtissent sur le sable et laissent les autres bâtir sur le sable des bons motifs naturels. La plupart des objections des prêtres contre notre retraite viennent surtout des prêtres défenseurs des bons motifs naturels, donc qui vivent d’une mentalité païenne. Quelle pitié de voir l’insouciance des prêtres pour le sermon sur la montagne! Il les condamne dans toute leur mentalité et dans toute leur vie concrète; voilà pourquoi ils ne l’étudient pas, ne le méditent pas et ne l’exploitent pas en faveur des fidèles, ni pour leur propre vie… et N.S. dit que la cause des péchés est là. Quel aveuglement dans le clergé!

Toute la doctrine du sermon est cessez d’agir comme des hommes pour agir comme des enfants de Dieu que vous êtes. Cela est dit pour ceux qui sont en état de grâce, c’est évident. Or une fois en état de grâce qu’est-ce qui distingue la façon d’agir des hommes avec celle des enfants de Dieu? Ce ne peut être que dans l’activité mentale et libre des intentions ou des motifs. Un chrétien qui agit avec un motif naturel agit comme un homme ou comme un simple païen, dit Jésus; un chrétien qui agit avec des motifs surnaturels agit comme un enfant de Dieu.

Voilà ce que tous les prêtres devraient enseigner à temps et à contretemps, à tous les fidèles sans exception, privément et publiquement, à l’école, en famille et à l’Église, partout et toujours. C’est une guerre à mort que tout chrétien devrait entreprendre contre tous les bons motifs naturels, comme au démon en personne.

Mais cette sorte de soldats sera toujours rare parce que tous les démons vont leur faire la guerre à l’aide des prêtres environnants qui leur serviront d’instruments comme pour tuer Jésus par les pharisiens. Comme ils sont rares les prêtres qui auraient le courage et la vertu surnaturelle d’endurer une persécution en règle de tout le clergé! C’est ce qui attend tous ceux qui feront la guerre aux motifs naturels, les meilleurs amis des démons.

St Jean de la Croix écrit: "Tout naturel, dès qu’on veut s’en servir devant le surnaturel, est plus un empêchement qu’une aide."

Le soleil ne pénètre pas une vitre sale. Qu’on enlève les taches et tout de suite la vitre, tout en gardant sa nature, est transformée en la lumière du soleil, par participation. Ainsi pour l’âme, la lumière divine est toujours là pour la pénétrer, mais c’est le voile naturel (des créatures), des attaches aux créatures qui l’empêche; qu’elle s’en dépouille et ne veuille que ce que Dieu veut en tout et alors la grâce la transformera en proportion.

St Alphonse de Liguori, Amour envers Notre Seigneur 7, page 86, écrit: "Celui qui travaille pour satisfaire son goût a déjà reçu sa récompense qui se réduit à un peu de fumée, à une satisfaction éphémère, qui ne fait que passer et ne laisse à l’âme aucun profit. Le prophète Aggée le déclare: celui qui travaille pour une autre fin que pour plaire à Dieu, met les fruits de son travail dans un sac sans fond, où il ne trouve plus rien au moment où il l’ouvre."

Ste Catherine de Sienne: "Écarter, séparer, purifier entièrement la volonté de tout amour terrestre, de tout attachement charnel pour n’aimer ici-bas rien de passager, ni de périssable, sinon à cause de moi. Puis ce qui est le plus important, ne pas m’aimer pour toi, ni toi-même pour toi, ni le prochain pour toi, mais m’aimer pour moi, t’aimer pour moi, aimer le prochain pour moi. L’amour divin ne peut souffrir de partage avec aucun amour terrestre. Dans la mesure où la contagion des choses terrestres la souillera, dans cette même mesure tu offenseras mon cœur et tu perdras en perfection.

Pour être pure et sainte, l’âme doit avoir en dégoût tout ce qui plaît au corps. Fais donc en sorte qu’aucune des créatures, que ma bonté vous a données comme moyen, ne vous empêche de m’aimer, mais au contraire, qu’elles aident, excitent et enflamment votre amour. Si je les ai créées et si je vous les ai données, c’est afin que, puisant en elles une plus large connaissance de mon immense (amour) bonté, vous m’aimiez d’un amour plus généreux."

Si on est tenté de dire que cette guerre aux motifs naturels va devenir un vrai casse-tête, on peut répondre que c’est par l’amour de Dieu qu’on y arrive. Est-ce que les gens du monde se cassent la tête pour trouver les motifs naturels pour lui plaire? Comme leur amour est aux choses du monde, les motifs naturels jaillissent comme spontanément. Ainsi qu’on prenne tous les moyens qu’on indique dans la retraite pour arriver à l’amour de Dieu et alors les motifs surnaturels jailliront spontanément du cœur aussi bien que les motifs naturels jaillissent quand on aime le monde et soi-même. Qu’on détruise nos deux amours naturels pour mettre à la place l’amour de Dieu et alors il sera plus facile de n’agir que pour des motifs surnaturels. C’est le travail que tout chrétien doit faire toute sa vie. C’est pour cela qu’il est dans ce monde: pour vivre selon Dieu après qu’il a reçu la grâce sanctifiante. Qu’on demande le secours de la Ste Vierge pour arriver à l’amour de J-C. et de là aux motifs surnaturels.

St Vincent de Paul, sa vie, p. 189: "Imaginez un homme solidement enchaîné à un arbre, pieds et mains liés, image d’une fille attachée à un emploi, à une compagne, à une robe, à une étoffe. Elle y pense nuit et jour et ne peut s’en défaire. Nous ne devons être attachés qu’à Dieu seul, toute autre attache est une sorte d’idolâtrie et d’adultère. À une fille non détachée, Dieu ne saurait pas plus s’unir qu’une personne vivante à un corps mort."

Encore un exagéré pour nos philosophes!


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