"Il est de la plus haute importance que l'âme s'exerce beaucoup à l'AMOUR, afin que, se consommant rapidement, elle ne s'arrête guère ici-bas, mais arrive promptement à voir son Dieu face à face." (S. Jean de la Croix)

MES RETRAITES

Avis aux lecteurs...

Première Série des Retraites

du Père Onésime LACOUTURE, s.j.

Doctrine surnaturelle

pour se défaire de toute mentalité païenne.


Sixième Instruction

La Mentalité chrétienne



" Mon juste vit de foi. "
Rom. 1-47.

Plan

Remarque

Dieu, objet de la volonté…

Dieu, objet de l’intelligence pratique

Dieu, dans la pratique de la vie… Mentalité chrétienne.

Remarque.

Nous devons être convaincus maintenant de la nécessité absolue de nous défaire de notre mentalité païenne qui nous suit plus ou moins jusqu’à la mort et du dommage que font à la vie spirituelle tous nos motifs naturels quelque bons qu’ils soient en eux-mêmes. Jésus, les Apôtres et les Saints les condamnent tous et les attaquent toujours. Voilà ce qu’indique le titre des Exercices de St Ignace: "Se vaincre soi-même afin de suivre la volonté de Dieu sans aucune affection déréglée", ce qui veut dire sans aucun motif naturel comme nous l’avons montré. C’est là que se pratique le renoncement aux affections naturelles pour les choses créées et pour soi-même. On a dû voir que ce n’est pas chose facile à comprendre, en pratique. L’idée de renoncement est facile, mais comme les hommes et les démons l’ont rendue difficile dans la pratique!

Tout le monde comprend ce que veut dire une opération chirurgicale, mais comme c’est difficile d’en faire une dans le concret! C’est la même chose dans le renoncement. Malheureusement, très peu l’expliquent et pas un commentateur de St Ignace n’entre dans le détail de cette opération spirituelle. Ils supposent tous la chose connue et c’est justement dans l’ignorance pratique du renoncement que les démons font leur œuvre. Qui sait au juste qu’il consiste surtout dans le fait de se débarrasser de ses motifs naturels pour n’agir qu’avec des motifs surnaturels? Évidemment si on est sincère, ce renoncement descendra dans la pratique et le sacrifice des choses créées. Par exemple, si un fumeur ne veut pas un seul motif naturel dans sa vie, il va lui être difficile de fumer. Et ainsi pour tous les plaisirs. S’il va uniquement dans la Trinité se chercher des motifs comme St Ignace le dit si souvent, que d’attaches et de motifs naturels du païen vont tomber!

Comme aucun commentateur ne met le doigt exactement sur le renoncement aux motifs naturels comme St Ignace le fait, ainsi que nous l’avons montré, nos Pères philosophes aiguillent toutes leurs explications sur le renoncement dans l’ordre naturel, à savoir: à ce qui est mauvais ou dangereux selon la morale naturelle des Limbes, ce qui pervertit tout le sens des Exercices et qui les empêche de produire un changement radical dans la conduite des fidèles comme ils le faisaient au temps de St Ignace. Là, L’ivraie du diable dans les Exercices!

Après avoir enlevé le sable selon la doctrine du sermon sur la montagne et celle des saints, comme St Ignace il faut maintenant montrer comment bâtir notre édifice spirituel sur le roc de la foi et des motifs exclusivement surnaturels. Après avoir sorti, au moins en partie, nos deux amours naturels qui constituent notre païen, il s’agit de mettre à la place l’amour de Dieu qui agira comme un ressort pour diriger toutes nos actions vers Dieu selon les exigences de notre destinée surnaturelle.

C’est un art comme un autre et plus on suit le plan divin dans sa manière de procéder et plus Dieu coopère avec le chrétien pour le sanctifier. L’ordre que Dieu a établi dans l’activité des facultés de l’homme nous indique l’ordre que nous devons suivre pour nous adapter au plan divin et nous rendre plus aptes à recevoir ses grâces. Commençons par…

Dieu, objet de la volonté.

Plusieurs vont être surpris de nous voir commencer par la volonté puisque dans les choses naturelles c’est l’intelligence qui vient en premier lieu. C’est vrai! mais dans les choses surnaturelles c'est plutôt le contraire. Évidemment il faut un commencement de connaissance de Dieu pour le vouloir, mais après la volonté peut et doit se porter vers Dieu bien au-delà de ses connaissances, puisque Dieu est l’être infini et que nous sommes destinés à le posséder un jour dans le face à face éternel de la vision béatifique.

Surtout, comme il s’agit pour nous de recevoir des connaissances infuses de Dieu, elles dépendent bien plus de notre amour pour lui que de notre connaissance. Car Dieu dépasse toutes nos facultés; alors c’est à lui à se faire connaître à nous et il le fera en proportion que nous l’aimons comme il le dit en St Jean, 14-20: "Celui qui m’aime sera aimé de mon Père et je me manifesterai à lui." Sans négliger l’intelligence, il faut donc travailler surtout la volonté pour arriver à posséder Dieu au ciel. Dieu dit: "Donne-moi ton cœur!" Jamais il n’a dit: Donne-moi ton intelligence. C’est de l’amour qu’il veut et il éclaire l’intelligence dans la mesure où on l’aime.

Dieu se présente à la volonté de trois façons: comme notre fin dernière à obtenir, comme grâce sanctifiante à conserver et comme amour à pratiquer selon le premier commandement.

Comme fin dernière à obtenir. La foi révèle à l’intelligence notre destinée surnaturelle à la vision béatifique et nous montre là un bonheur éternel qui dépasse tout ce que l’on peut concevoir en fait de délices. C’est déjà beaucoup! Mais cela ne suffit pas. Je sais que Rome est une très belle ville et très intéressante à visiter, que beaucoup de gens y vont et en reviennent enchantés. Mais cette connaissance ne me donne absolument rien si je m’en contente. Quelle différence si un jour je fais un acte de volonté et que je me décide d’aller à Rome! Tout de suite je prends tous les moyens nécessaires pour m’y rendre et je parle de mon voyage à tout venant et j’aime qu’ils m’en parlent; je serais tout occupé à préparer mon voyage à Rome.

Eh bien! nous avons tous entendu parler du ciel et de ses merveilles; il est grand temps de nous décider à faire ce voyage! Il faut un coup de volonté pour préparer ce voyage; à tout prix il faut arriver au ciel! Et comme le train peut partir à n’importe quelle minute, il faut se préparer tout de suite et le mieux possible, parce qu’on ne revient pas. Si l’on manque son coup c’est le malheur éternel de l’enfer qui nous attend. La difficulté ici est que les choses divines n’exercent aucun attrait sensible sur nous. Il faut compter sur la grâce… de Dieu pour nous faire donner un coup de volonté vers ce bien infini que l’intelligence nous présente par la foi. Cela ne peut se faire que dans la méditation tranquille et souvent répétée. Ce n’est que par cette demande souvent répétée que Dieu voit que nous y tenons. Cet amour le touche plus que toute autre considération. C’est toujours le cœur qu’il veut!

C’est un travail contre nature que Dieu exige de nous pour nous donner le ciel. Ce que les gens du monde font naturellement selon l’attraction des sens nous devons le faire selon la foi, par la volonté, par la prière et par la grâce de Dieu. Comme les gens du monde sont corps et âme aux choses du monde, qu’ils y pensent nuit et jour, qu’ils en parlent à tout venant et qu’ils travaillent de toutes leurs forces pour les acquérir, ainsi un chrétien doit arriver à faire pour les choses de Dieu. Il faut qu’elles deviennent sa vie et son bonheur.

Si je demandais à une mère ce que fait sa grande fille et qu’elle me réponde: mon Père, sa vie, c’est la musique. Je comprends tout de suite que la musique accapare toute sa vie, ses loisirs, ses pensées et son amour. Voilà ce qu’on devrait pouvoir dire de tout chrétien par rapport à Dieu. Les choses divines devraient être toute sa vie.

Est-ce que c’est le cas de plusieurs chrétiens? Combien de Curés pourraient le dire de leurs Vicaires ou les Vicaires de leur Curé? Écoutons les conversations; elles montrent où est l’amour de Dieu dans le monde, dans le clergé, dans les communautés… Comme il est rare!

Pour arriver à cet amour de Dieu, il faut sacrifier l’amour des choses créées bonnes en soi, rejeter le plus possible tous les plaisirs, toutes les attaches même les plus innocentes. Tant qu’on trouve ce renoncement pénible c’est que le cœur est encore dans les plaisirs de la terre. Il faut prier pour avoir le courage de les sacrifier autant que possible; dans la même mesure Dieu donne sa grâce pour nous attirer à lui et dans la même mesure les choses de la terre deviennent viles à nos yeux éclairés de la foi divine. Comme Jésus a méprisé toutes les choses de la terre, il pouvait dire: Est-ce que je ne dois pas être aux choses de mon Père? Voilà l’idéal de tout chrétien qu’il doit essayer de réaliser au plus vite, car personne ne sait combien de temps il aura pour faire ce travail.

Comme grâce sanctifiante à conserver et à vivre tout de suite. Dieu n’attend pas après notre mort pour se donner à nous; son amour court au-devant de nous pour se donner d’une façon invisible, mais bien réelle par la grâce sanctifiante. C’est une participation créée de la nature divine qui suffit pour nous faire enfants de Dieu véritablement, héritiers du ciel. Comme le feu pénètre le fer qu’on y jette ainsi le divin pénètre notre être par la grâce sanctifiante. Il reste fer, mais est tout transformé en feu, ainsi notre âme reste humaine mais est toute transformée en divin, dans la substance de son être.

Or cette grâce est produite en nous par la présence de la Sainte Trinité qui vient demeurer en nous; c’est un vrai commencement de la vie éternelle intangible et invisible, mais très réelle par la grâce et dans la foi. Qu’on ne donne donc pas aux fidèles l’idée qu’elle n’est que l’absence du péché dans l’âme ou comme un billet pour entrer au ciel. C’est quelque chose de très positif tout à fait intrinsèque comme une vie, comme toute vie.

Par la grâce sanctifiante Dieu habite donc en nous, Dieu Trinité; c’est donc la vie du ciel qui commence en moi; mon âme est comme le ciel où habite réellement la Ste Trinité. Si je perds cette grâce, je perds la présence de la Ste Trinité en moi. On voit tout de suite combien nous devons l’estimer et tout faire au monde pour la garder.

Les prêtres philosophes habitués à tout voir en soi sont exposés à ne voir que la grâce sanctifiante et à ne parler que d’elle et à s’en contenter. Ils prônent beaucoup leur fameux dicton que si on meurt en état de grâce on est sauvé. C’est vrai, mais si on vit tant soit peu, il faut autre chose pour la garder. Est-ce que des parents se contentent de voir la nature humaine dans leurs enfants. Supposons qu’ils ont un idiot; il a la nature humaine comme eux, mais sont-ils satisfaits de leur idiot? C’est une immense peine pour eux. Pourquoi? Parce que leur enfant ne peut pas se servir de sa nature humaine, ni de ses facultés. Eh bien! le chrétien en état de grâce qui ne se sert pas de cette nature divine en lui pour agir comme dans le ciel est une espèce d’idiot devant Dieu. Voilà pourquoi il faut ajouter une autre considération à la grâce sanctifiante: s’en servir.

Comme un amour à pratiquer. Dieu fait l’homme chrétien et lui communique sa nature précisément pour qu’il s’en serve. Il veut qu’il agisse en enfant de Dieu. Comme lorsqu’il a donné des facultés spirituelles à un homme il veut qu’il s’en serve ainsi pour la vie divine de la grâce sanctifiante. Dieu regarde bien plus l’usage que le chrétien fait de sa grâce que la grâce elle-même, exactement comme les parents surveillent bien plus l’usage que leurs enfants font de leurs facultés que les facultés elles-mêmes ou leur nature humaine.

Voilà pourquoi St Paul, Rom. 8-14, dit: "Ce sont ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu qui sont les enfants de Dieu." Tout se résume toujours à cette idée: un chrétien doit commencer à vivre sur terre comme il le fera au ciel. Or, là nous ne serons pas seulement des ornements immobiles devant Dieu avec notre grâce sanctifiante, mais nous agirons surtout avec tous ses dons divins. Ce n’est pas pour rien qu’il nous fait demander tous les jours dans le Notre Père: "Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel!" C’est par l’action que l’on fait sa volonté, ce n’est pas par la nature seule.

Ce qu’il veut de nous est surtout compris dans le premier commandement: "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, etc." Ceux qui se contentent de la seule grâce sanctifiante sont à cent lieues des exigences de Dieu pour être sauvés. J’aimerai Dieu de cette façon si je veux; donc cela est bien dans mon activité mentale libre et donc dans mes facultés, non pas dans ma grâce sanctifiante quoiqu’il faille l’avoir aussi.

Quand Jésus demande que nous soyons une seule chose avec lui, comme il est une seule chose avec son Père afin que le monde croie en lui, il insinue donc que c’est par nos actions visibles et tout le cours de notre vie que nous montrerons que nous appartenons à Jésus. En plus de notre divinisation dans notre mentalité libre et donc dans nos intentions, dans nos motifs et dans toutes nos actions intérieures et extérieures. Il faut que le prochain voie Jésus en chacun de nous, ce qu’il ne peut pas faire par la présence de la seule grâce sanctifiante qui est invisible aux sens. C’est donc par la conduite extérieure et par notre activité mentale de nos facultés que nous le montrerons. Dieu veut tout le chrétien divinisé, pas seulement dans son être, mais aussi dans sa vie.

Comme dans tout païen il n’y a pas seulement sa nature humaine, mais aussi ses facultés spirituelles habituées à suivre les impressions des sens et la raison, ainsi dans le chrétien, si la grâce sanctifiante élève (le chrétien) sa nature, elle laisse en lui toutes ses tendances naturelles, ses passions, sa mentalité, son caractère avec tous ses défauts et ses qualités. Eh bien! un chrétien doit lutter contre tout cela afin de le diviniser comme dans le ciel. C’est le travail de toute une vie avec les grâces actuelles de Dieu. C’est par cette transformation volontaire, aidé de la grâce, qu’il arrivera à se rendre de plus en plus semblable à Jésus et donc à la Trinité et ainsi, se rendre apte à la vision béatifique au ciel. Tout cela est de l’amour de Dieu bien pratique.

Dieu, objet de l’intelligence pratique.

Il s’agit ici de l’intelligence pratique; comment se servir de Dieu constamment dans cette faculté, dans les actions ordinaires de la vie afin d’en retirer le plus de profit spirituel. L’idée que nous voulons développer va alimenter la mentalité de toutes sortes de bons motifs surnaturels qui vont aider puissamment à notre sanctification. N.S. lui-même insinue que notre vie spirituelle peut s’assimiler à la construction d’une maison, quand il parle de sa doctrine comme d’une maison bâtie sur le roc. Le mot "édifier" le prochain vient de cette idée.

Les hommes qui construisent ne se cassent pas la tête dans les détails et cependant peu de maisons tombent. Pourquoi les prêtres et les fidèles ne seraient-ils pas aussi sages dans la construction de leur édifice spirituel autrement précieux que ceux de la terre. Il s’agit de procéder de la même façon dans les deux sortes d’édifices. Repassons les principales règles à suivre dans toute construction et nous les appliquerons de la même manière à notre édifice spirituel.

1-Se décider à construire dans le concret et dans le particulier.

Pas un nigaud au monde ne commencerait à construire sans savoir exactement ce qu’il veut. Est-ce un garage? une grange? une maison? une église? etc. Pourquoi faut-il que le nombre des nigauds soit si grand dans les choses spirituelles? Combien peu savent ce qu’ils veulent construire! Est-ce la perfection d’un bon païen? d’un chrétien ou celle de Dieu? La plupart n’ont qu’une idée bien vague sur la perfection qu’ils doivent atteindre. N’ayant rien de défini dans l’esprit, ils ne bâtissent pas du tout ou peu.

À mon avis, une des causes de cette paresse de nos chrétiens est qu’ils ont une idée trop basse du ciel. Les prêtres devraient toujours comparer le ciel aux Limbes et non pas à l’enfer, comme ils font en général. Comme ils ne parlent jamais des Limbes, ce qui ferait ressortir la sublimité du ciel, nos gens n’ont comme notion du bonheur futur que celui des Limbes qu’ils appellent le ciel. Pour eux, dès qu’on est au-dessus du feu de l’enfer, on est dans le ciel. Ce qui les frappe est surtout l’absence de souffrances, ce qui serait vrai pour les Limbes. Les prêtres devraient souvent montrer aux fidèles l’incomparable élévation du ciel sur le bonheur des Limbes qui n’est après tout que le bonheur des hommes, tandis que le bonheur du ciel c’est Dieu, c’est son bonheur même. Là ils verraient combien plus de perfection ils doivent avoir pour y entrer et ils seraient plus soigneux pour l’acquérir.

Jésus veut que nous reproduisions la sainteté de Dieu quand il dit à tous sans aucune exception: "Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait." Il ne suffit donc pas de ne pas être un démon, comme le monde le pense, ni un bon païen; il faut être bon comme Dieu est saint! Que de gens se comparent à d’autres moins bons qu’eux et se trouvent assez bons ainsi. Ils sont dans l’erreur. Nous devons nous comparer à Dieu afin d’essayer de toutes nos forces de l’imiter avec sa grâce. N’ayons donc les yeux que sur Dieu. Voilà le modèle et l’exemplaire que nous devons reproduire dans notre édifice spirituel. St Paul dit que nous devons former en nous J-C. jusqu’à sa stature parfaite. Les épîtres sont remplies de textes nous exhortant à devenir saints comme Dieu est saint!

Puisqu’il s’agit de bâtir l’édifice le plus parfait possible, prenons l’exemple de la construction de ce que l’on appelle un gratte-ciel. Comme il coûte des millions, les hommes pensent à prendre un soin extrême pour assurer sa solidité non seulement contre les vents ordinaires, mais contre toutes les tempêtes possibles. Personne ne veut prendre de risque avec un édifice de cent étages comme il y en a déjà à New York. Quelle perfection dans tous les détails!

Eh bien! notre édifice spirituel coûte le sang de J-C. et s’il tombe, il tombe en enfer pour l’éternité. Il ne faut pas prendre de risque pour assurer la solidité de notre sainteté. Procédons comme pour la construction de notre gratte-ciel.

2- On fait des plans et l’on consulte des spécialistes.

On bâtit son édifice sur le papier avant de le construire réellement. Eh bien! tout chrétien doit étudier la sainteté dans l’Évangile, dans les bons auteurs spirituels, essayer de rencontrer des experts dans les voies spirituelles et converser avec eux, les rechercher. Il est certain que ce n’est pas facile. Avec la mentalité païenne de la majorité des gens, même des prêtres et des religieux, un chrétien qui se met en frais d’étudier comment devenir un saint va paraître sûrement bien étrange et même va passer pour fou. Ce sera le premier pas de ressemblance avec son divin Maître qui a passé pour fou! Le disciple n’est pas plus grand que le Maître!

On va s’objecter le manque de temps; qu’on laisse de côté toutes ces lectures frivoles, de revues, de romans, etc; qu’on cesse de suivre les sports et l’on finira par avoir du temps pour étudier les choses de Dieu. Les chrétiens qui ignorent comment bâtir leur sainteté auront un compte sévère à rendre à Dieu des moyens qu’il a mis à leur disposition pour apprendre le métier de devenir saint. Que de peines ils se donnent pour se procurer les plaisirs de la terre! Ils savent bien où aller pour les trouver. Qu’ils fassent tout cela maintenant pour se procurer le bonheur du ciel en devenant des saints.

3- On enlève le sable jusqu’au roc. Jésus attribue la chute de la maison bâtie sur le sable uniquement à ce fait et pas du tout aux tempêtes. Or d’après son enseignement le sable et la mentalité païenne ne font qu’un avec les motifs naturels. Tout le sermon sur la montagne est contre les motifs naturels, donc contre le sable. Ailleurs il dit que notre victoire sur le monde viendra de la foi; c’est donc ce qu’il signifie par le roc, et le manque de foi par le sable ou le naturel même bon. Le sable est créé par Dieu comme le roc, mais il n’est bon à rien pour soutenir une maison contre les torrents. Il faut donc que tout chrétien se débarrasse le plus possible de toute son activité mentale naturelle car elle n’est bonne à rien pour le préserver des tentations.

Cette sagesse élémentaire est bien donnée dans le sermon sur la montagne, mais les prêtres ne s’en servent pas. Ils disputeront les pécheurs, mais jamais ils ne toucheront aux vraies causes que Jésus indique: les motifs naturels. Que de fois on entend les prêtres attribuer les péchés du monde aux tentations, à l’indécence des modes, aux mauvais exemples, etc. Jamais on entend les prêtres dire que c’est parce que les fidèles agissent avec des motifs naturels.

Un pénitent s’accuse de tomber en péché mortel; que le prêtre s’informe s’il a des attaches même bonnes en soi, comme de fumer, de prendre de la liqueur même modérément, d’aller aux joutes, etc. Puis, qu’il lui explique que c’est à cause de tous ces grains de sable, ses motifs naturels, que son âme est tombée dans le péché mortel. Inutile de lui faire promettre de ne plus tomber; qu’on exige des motifs absolument surnaturels, qu’il cesse de prendre des plaisirs pour des motifs naturels. Voilà ce qui est enlever le sable au-dessous de la maison spirituelle pour y mettre du roc qui est le surnaturel.

Que tous les parents, instituteurs ou institutrices, tous ceux qui veulent améliorer nos chrétiens s’arment de pics et de pelles pour enlever le sable de la mentalité de nos chrétiens et ils ne tomberont plus dans le péché ou beaucoup moins souvent. L’expérience montre que les fumeurs, les amateurs de sports, ceux qui aiment la boisson et qui en prennent assez souvent, tous ceux qui prennent les plaisirs permis avec des motifs naturels sombrent souvent dans une foule de péchés souvent véniels et même mortels trop souvent. Leur vie spirituelle est chancelante parce que son fondement est surtout du naturel. En proportion qu’on agit pour des motifs naturels même bons en soi on tombe dans le péché d’une façon ou d’une autre.

Tous ceux qui disputent les pécheurs montrent bien qu’ils ignorent les voies de Dieu. Un homme vient me dire que sa maison a été renversée par les torrents, à quoi bon le disputer? Je m’informerais tout de suite de la cause. Il me dit qu’elle était bâtie sur le sable et que l’eau a emporté le sable et la maison est tombée. Quel nigaud se contenterait de lui recommander de bien faire attention à ne plus la laisser tomber et qui ne lui dirait rien du sable? Pourquoi faut-il qu’il y ait tant de nigauds dans les choses spirituelles pour ne jamais recommander aux fidèles d’enlever tous les motifs naturels de leur vie afin de ne plus tomber dans le péché? Les bons médecins attaquent les causes des maladies quand ils le peuvent. Eh bien! Jésus dit clairement que la cause subjective des péchés est de bâtir sa maison sur le naturel libre et donc les motifs. Tout le 6ème ch. de St Matthieu est pour attaquer les motifs bons en soi dans les bonnes choses, mais simplement naturels. L’idée fondamentale est que Dieu récompense seulement les actions faites pour lui, pas parce qu’elles sont bonnes "in se", mais parce qu’elles sont faites pour lui. Évidemment il faut qu’elles soient bonnes en soi, mais même dans ce cas il n’en veut pas si les motifs ne sont pas surnaturels.

On voit maintenant la sottise de ces prêtres séculiers ou réguliers qui poussent les gens à toutes sortes d’amusements pour les protéger contre les péchés. C’est évident que pendant qu’ils jouent, ils ne font pas de mal. Que de prêtres conseillent aux jeunes de fumer pour les préserver purs! Des prêtres sont rendus à organiser des sports, le dimanche, suppriment les Vêpres pour des parties de balle, y vont eux-mêmes pour empêcher leurs gens de commettre des péchés!!! Quel ignorance crasse que cette poussée du clergé vers les sports pour sauver le monde!!! Quelle sottise!!!!

Jésus dit que notre victoire sur le monde viendra de notre foi, pas des amusements! Il envoie ses prêtres prêcher le mépris des choses créées, il veut qu’ils arrachent les chrétiens aux deux amours naturels pour leur faire mettre tout leur bonheur uniquement en Dieu… et les prêtres font tout le contraire. Ce n’est pas ce que les Apôtres prêchaient aux premiers chrétiens. Mathetes, un des premiers Pères de l’Église dit que les païens tuaient les chrétiens parce qu’ils avaient abjuré tous les plaisirs. Il n’y avait rien de commun entre eux et les païens. De nos jours peut-on reconnaître les catholiques par leur mépris des plaisirs du monde? Pas du tout. Pousser les gens aux amusements même honnêtes, c’est comme accumuler du sable autour d’une maison pour qu’elle ne soit pas emportée par les torrents; elle le sera sûrement un jour.

Voici un truc du diable qui trompe beaucoup de prêtres. Au lieu d’attaquer les motifs naturels, ils recommandent des motifs surnaturels. Comme les gens sont en possession de motifs naturels comme de leurs deux amours naturels, ils les gardent. Parfois ils diront qu’ils prennent tel plaisir pour Dieu, mais au fond de leur cœur c’est parce qu’ils l’aiment.

L’Abbé Connell de l’Université catholique de Washington vient de publier un catéchisme très pratique, mais où il prêche les motifs surnaturels dans tous les plaisirs. Il y a du vrai, c’est évident. On peut prendre des récréations et les offrir à Dieu quand elles sont nécessaires et utiles. Mais ce n’est pas vrai qu’on peut les offrir à Dieu quand on les prend par affection naturelle. Nous avons déjà cité un texte de St François de Sales où il dit que même pour des choses parfaitement honnêtes et réglées, l’affection pour elles serait entièrement contraire à la dévotion, extrêmement nuisible à l’âme et dangereuse pour le salut. C’est donc absolument faux qu’on puisse prendre tous les plaisirs permis et les offrir à Dieu comme le professeur Connell le suppose dans son catéchisme. Il ne demande pas de sacrifice, il n’attaque nulle part nos deux amours naturels et l’ignorant pense faire entrer l’amour de Dieu dans la jeunesse américaine! St Jean de la Croix, un autre Docteur de l’Église, affirme que l’on ne peut pas offrir à Dieu un plaisir pour lequel on a une attache. Avis aux fumeurs! aux amateurs de sports! aux passionnés de toutes sortes!…

Voici un exemple: deux Curés bâtissent chacun une église exactement avec les mêmes matériaux, les mêmes poutres de fer, etc. Mais le premier enlève le sable et l’autre bâtit sur le sable. Cette dernière tombera un jour à cause du sable. Eh bien! ceux qui prêchent les motifs surnaturels sans attaquer les motifs naturels, peuvent se vanter de bâtir aussi bien que l’autre ou de prêcher le surnaturel comme l’autre, mais ces gens tomberont dans le péché à cause des deux amours naturels qu’on leur a laissés. Pas un homme ne serait assez fou pour bâtir sur le sable et dans le clergé le nombre est sans limite de ceux qui ne pensent même pas à enlever le sable du naturel dans les constructions spirituelles qu’ils doivent élever. Les gens sont plus sages dans les choses de ce monde que dans celles de l’autre. C’est par l’étude des choses de Dieu, par la méditation et par la prière qu’on arrive à avoir cette sagesse divine enseignée dans les Évangiles.

St Jean de la Croix a une comparaison lumineuse. Si une vitre est couverte de boue, la lumière du soleil ne la pénètre plus; on aurait beau dire que la lumière du soleil peut la pénétrer, on pourrait vanter cette lumière, tant qu’on n’enlève pas la boue sur la vitre, tout ce qu’on peut faire ne vaut rien; la lumière ne passe pas. Ainsi dans une âme, qu’on fasse ce qu’on voudra, qu’on prêche ce qu’on voudra, tant qu’on laisse les deux amours naturels dans l’âme avec leurs motifs naturels, l’amour de Dieu n’entre pas dans ce cœur.

Il en est ainsi pour toutes les exhortations aux motifs surnaturels quand on ne commence pas par enlever les motifs naturels: le surnaturel n’entre pas. St Ignace exige toujours et partout qu’on commence par rejeter ses motifs naturels et ensuite qu’on aille en Dieu chercher ses motifs surnaturels. Jamais il ne permet les deux ensemble comme nous l’avons déjà montré.

4- On choisit les meilleurs matériaux. Quand on bâtit un gratte-ciel, on prend les meilleurs matériaux et les plus solides. Est-ce qu’un contracteur permettrait qu’on mette un madrier dans sa charpente sous prétexte que c’est une bonne pièce de bois en soi? Alors pourquoi pas deux? trois? et plus? parce qu’en multipliant ces pièces de bois, il affaiblirait sa construction, il n’en met pas une seule et qui pourrait le taxer d’étroitesse d’esprit?

Eh bien! Jésus enseigne qu’on tombe dans le péché à cause des motifs naturels; donc tout chrétien devrait les bannir absolument de sa vie. Il est fou de dire qu’en soi un motif naturel ne peut pas faire de tort. S’il n’a pas peur d’un, il n’aura pas plus peur de deux, ni de trois et ainsi de suite et finalement il tombera dans le péché à cause de tous ces grains de sable dans sa vie. Donc qu’on rejette absolument tout motif naturel si l’on veut ne pas tomber dans le péché.

5- Grand soin dans la construction. Toutes les conditions précédentes seraient vaines si on ne mettait pas un grand soin dans la construction. Pas une pierre, ni une poutre ne sont posées sans s’assurer du niveau et de la perpendiculaire, en se servant constamment de l’équerre et du fil à plomb ou du niveau. La moindre déviation serait désastreuse dans une construction de cette hauteur. Les maçons font tout cela sans se casser la tête. C’est qu'ils montent sur le chantier sachant bien qu’ils travaillent à un édifice extrêmement coûteux et donc qu’ils doivent prendre le plus grand soin possible en posant chaque pièce.

Voilà ce que tout chrétien devrait faire pour le temple de Dieu qu’il construit dans son âme. S’il se remplissait l’esprit et surtout le cœur de l’importance de la construction de son édifice spirituel, il surveillerait chaque action exactement comme les maçons surveillent la pose de chaque pièce dans le gratte-ciel, et ce ne serait pas plus un casse-tête pour lui.

Donnons quelques exemples: Une personne vient me consulter par affaire, puis en parlant, je sens naître un attrait particulier pour elle; voilà que mon acte penche vers la terre. Il faut que j’applique tout de suite la verticale pour l’orienter uniquement vers Dieu et il faudra éviter cette personne autant que possible.

On prend de la liqueur pour chasser un frisson; si le frisson revient souvent, il faudra surveiller ses motifs de prendre cette liqueur. On va à une partie quelconque pour se récréer, puis graduellement la passion de ce jeu se fait sentir; il faudra redresser cette pierre qui penche vers la terre. Le plus souvent le seul moyen efficace est de rejeter ces plaisirs quand on sent le cœur pris par eux.

Cette sagesse dans la construction de son édifice spirituel ne vient pas plus des sens que l’idée de la vision béatifique. C’est la foi qui la donne aidée de la prière et de la méditation. Il faut prendre le temps de réfléchir à ces choses. C’est le temps de le faire durant la retraite d’abord, puis continuer ces méditations durant l’année aussi souvent qu’on peut se ménager des loisirs pour cela. Que de temps l’on prend pour faire des projets afin de s’enrichir dans ce monde qui dure si peu! Qu’on en prenne encore plus pour construire sa demeure éternelle!

Dieu dans la pratique de la vie.

Puisque Dieu est notre fin dernière, qu’il vient habiter en nous par la grâce sanctifiante et qu’il veut que nous agissions tout de suite comme dans le ciel, il faut donc que Dieu soit vraiment notre vie! St Paul dit: Cor. 1, 3-16: "Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous?" Voilà le résumé de tout ce qui précède. La Trinité vient habiter en nous pour nous faire participer à sa propre activité divine, nous faire vivre la vie du Père, nous donner la sagesse du Verbe et l’amour du Saint-Esprit et tout cela par le Verbe incarné.

Un chrétien doit donc retirer toute sa vie du sens de l’amour qu’il a gaspillé sur les choses créées pour ne plus vivre que pour Dieu, en Dieu et par Dieu. Que Dieu soit le centre de sa vie comme le monde l’a été jusqu’à présent. Qu’il commence tout de suite sa vie du ciel en autant que les conditions terrestres le permettent. Or un chrétien peut travailler sa terre, ou exercer n’importe quel métier pour gagner sa vie terrestre tout en vivant pour l’amour de Dieu et par l’amour uniquement. Jésus-Christ l’a fait durant sa vie sur terre; il est notre modèle et nous devons l’imiter le plus possible avec sa grâce. C’est à force de réfléchir sur les idées que nous expliquons durant la retraite qu’on peut y arriver avec le secours de Dieu évidemment.

Qu’on n’oublie pas que l’amour de Dieu ne viendra jamais dans un cœur qui garde ses deux amours naturels. Par conséquent pour être pratique, il faut à tout prix faire la guerre à mort à ces deux amours et à tous les motifs naturels qu’ils nous fournissent. Tout autre moyen quelque bon qu’il soit est inutile si on laisse ces deux amours dans le cœur. J’insiste parce que les prêtres ignorent cette tactique spirituelle à cause de leur philosophisme qui les fait protéger ces deux amours au lieu de les détruire. De fait où sont les prêtres qui font la guerre aux bons motifs naturels comme tous le devraient s’ils connaissaient bien leur théologie pratique? Puisqu’ils ne le font pas, c’est donc qu’ils ne savent pas que ces deux amours sont les pires ennemis de Dieu dans le cœur de l’homme. Tous ceux qui essaient de sanctifier les fidèles sans attaquer les motifs naturels sont aussi insensés que ceux qui essaieraient de faire revenir une épouse à son mari qui garde encore chez lui ses deux concubines. Or ce n’est qu’en débarrassant le cœur de ces deux amours naturels, ennemis de Dieu, qu’il viendra non seulement substantiellement par la grâce sanctifiante, mais activement par l’amour. Il se manifestera au chrétien de plus en plus, il développera avec lui une intimité d’ami en proportion de son amour. Toute cette vie d’intimité divine est inconnue à ceux qui cultivent leurs deux amours naturels. C’est de cette intimité d’ami que nous parlons quand nous disons que nous voulons vivre Dieu d’une façon pratique.

Comme les uns disent: la chasse est ma vie; un autre, le commerce est ma vie, etc., pour un chrétien, il faut qu’il puisse dire: Dieu est ma vie; il accapare tout mon cœur et donc dirige toute mon activité libre. Tout est orienté vers lui et tout vient de lui. Il doit dire comme St Paul: "Ce n’est plus moi qui vis, c’est J-C. qui vit en moi." Alors on pense toujours à Dieu, on voudrait toujours en parler, on travaille pour lui et l’on voudrait le faire connaître à tout le monde et les trois premières demandes du Pater deviennent la prière habituelle du cœur!

Voilà la mentalité chrétienne… Que Dieu nous l’accorde à tous!


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