"Il est de la plus haute importance que l'âme s'exerce beaucoup à l'AMOUR, afin que, se consommant rapidement, elle ne s'arrête guère ici-bas, mais arrive promptement à voir son Dieu face à face." (S. Jean de la Croix)

MES RETRAITES

Avis aux lecteurs...

Première Série des Retraites

du Père Onésime LACOUTURE, s.j.

Doctrine surnaturelle

pour se défaire de toute mentalité païenne.


Quatrième instruction

Mentalité païenne



" Car je vous dis que si votre justice n’est pas plus abondante que celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. "
Mt. 5-20.

Plan

Remarque

La justice des anciens scribes et des pharisiens.

La justice des scribes et des pharisiens modernes.

Sa cause profonde: philosophisme, l’ivraie dans le clergé.

Ses conclusions sont contraires à celles de la théologie.

Effets désastreux du philosophisme:

Remarque.

Nous sommes encore à expliquer le titre des Exercices de St Ignace où il a mis l’idée essentielle de tous ses exercices. Tous les commentateurs passent le titre sous silence. C’est leur affaire. Mais d’après St Ignace même, quand on trouve de la matière à méditation sur un point on peut et on doit y rester tant qu’on veut. Eh bien! Nous trouvons là toute l’âme des Exercices et nous voulons l’expliquer dans tous ses détails.

Se vaincre est plus compliqué qu’on le pense ordinairement. Nos philosophes n’y voient que le fait de se vaincre assez pour éviter le péché et les mauvaises inclinations de la nature. C’est cela et beaucoup plus que cela. C’est se défaire de toute activité naturelle intentionnelle qui demeure toute la vie plus ou moins même dans ceux qui sont en état de grâce. C’est se défaire de ses deux amours naturels bons en soi et surtout de tous les motifs naturels même bons qui jaillissent de ces deux amours naturels et qui constituent notre activité naturelle de notre personnalité morale et de notre moi.

Or toute cette question est vraiment difficile et bien embrouillée par beaucoup d’auteurs eux-mêmes à mentalité païenne. C’est justement sur ce point que se fit la lutte entre les bons et les mauvais esprits dans nos âmes. D’ailleurs très peu d’auteurs traitent la question des motifs parce qu’on rencontre là les pires ennemis et adversaires parmi les prêtres de toutes sortes, religieux et séculiers. Là personne ne reste indifférent: ils sont acharnés pour un côté ou pour l’autre. C’est donc que les démons en connaissent l’importance puisqu’ils se battent si fort dès qu’on entre dans la question des motifs. Or la mentalité païenne est celle qui en vit en général.

Dans cette méditation nous voulons exposer comment il se fait que les prêtres dans le monde, en général, ont une mentalité si païenne qu’ils cultivent des motifs naturels pour eux-mêmes, qu’ils les laissent aux autres sans jamais les attaquer et de plus qu’ils soient les ennemis de tout prêtre qui voudrait leur faire la guerre, à ces motifs naturels. Il est possible de combattre la mentalité païenne et les motifs naturels sans exposer comment il se fait que les prêtres aient cette mentalité. Essayons de le faire. Comme nous allons le voir cette mentalité existe depuis longtemps.

La justice des anciens scribes et des pharisiens.

Ils en avaient certainement: ils suivaient la loi de Moïse, l’étudiaient et l’expliquaient au peuple, mais en philosophes, d’une façon abstraite et "in se", selon l’ordre spéculatif seulement. Ils en faisaient un jeu d’esprit, se perdaient dans des questions oiseuses, de pure érudition. Cette science toute de tête développait en eux un certain orgueil d’esprit qui les éloignait de Dieu. Ils s’occupaient uniquement de la raison et pas du tout de la foi ou trop peu. Ils jugeaient donc toutes choses pratiquement comme des païens. De fait, ils étaient réduits à observer la seule Loi naturelle… et encore bien imparfaitement, comme Jésus le leur reproche dans le sermon sur la Montagne: Ils prenaient tout à la lettre qui tue, mais pas avec l’esprit qui vivifie.

Voilà pourquoi Jésus condamne cette justice toute naturelle. "Si votre justice n’est pas plus grande que celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux." Ils se contentaient de la lettre stricte, comme il le leur dit: "Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens: "Vous ne tuerez point". Si un Juif avait blessé un autre, les prêtres l’excusaient parce qu’il ne l’avait pas tué et donc observait strictement parlant la Loi. Mais Jésus veut qu’on ajoute l’amour du prochain: il veut qu’on évite toutes les occasions qui conduisent au péché, qu’on aime ses ennemis, etc…

Les prêtres du temps avaient donc une mentalité païenne, parce qu’ils n’avaient étudié que la lettre de la Loi et non l’esprit. Or, ce que Jésus dit là est pour tous les temps. Tout ce qu’il condamne dans les scribes et les pharisiens se répétera sûrement dans tous les âges de l’Église, parce que les hommes sont toujours les mêmes, païens de mentalité et toujours poussés dans cet esprit par les démons.

Les hommes tiennent mordicus à leur vie naturelle parce qu’elle est dans le sang pour ainsi dire. L’autre vie surnaturelle ne tombe pas sous les sens et elle est d’ordre divin qui nous dépasse infiniment, qui n’est aucunement tangible. L’Église a lutté des siècles contre les Juifs qui se faisaient chrétiens et qui voulaient garder leurs coutumes et leur religion juive; on sait comment St Paul leur a fait la guerre. Plus tard, quand les barbares se firent chrétiens, eux aussi voulurent rester païens de mœurs tout en devenant catholiques. Les hommes sont donc tous bien attachés à leurs coutumes et à leurs idées naturelles.

Ce sont ces scribes et ces pharisiens qui furent les pires ennemis de N.S. et de sa doctrine, faite d’amour de Dieu et du prochain. Au lieu de le recevoir comme Messie selon les prophètes et la Loi, ils ne le reconnurent pas du tout, lui firent une guerre à mort et finirent par le crucifier comme l’ennemi de leur race et de leur religion. La formation selon le seul esprit ne comprend donc rien à l’amour du cœur et toutes ses conclusions sont contraires à celles de l’amour.

La justice des scribes et des pharisiens modernes.

Tous les prêtres après J-C. sont pétris du même levain païen: nous naissons tous avec la même mentalité toute centrée sur nos deux amours naturels: L’amour des créatures et l’amour-propre. Nous sommes tous exposés à juger selon les sens et les choses matérielles qui nous entourent. Par nature toute notre vie est donc foncièrement païenne jusque dans la moelle des os. Ce n’est pas une théologie toute spéculative et une religion surtout extérieure qui peut changer cette mentalité que nous avons par création.

Les signes de cette mentalité païenne ne manquent pas dans tous les rangs de la société chrétienne. St Jean de la Croix explique "L’homme animal" de St Paul en disant que c’est celui dont les sens sont pleins de vie et qui recherchent les jouissances sensibles pour le plaisir qu’elles donnent. On aimerait à exclure les prêtres, et réguliers et séculiers, des païens dont on parle, mais l’expérience nous oblige à ne pas faire de distinction entre les hommes: ils sont tous pareils à ce point de vue général.

Ces "païens" livrent toute leur âme aux sensations. Les yeux dévorent les personnes jolies et les choses agréables. Quelle passion pour tout ce qui peut les satisfaire! Les cinémas, les théâtres, les cirques, les amusements de toutes sortes, les ameublements riches, les belles automobiles, les toilettes, etc. Les oreilles veulent tout entendre: les concerts, la radio, les nouvelles, les commérages, etc. Le palais cherche tous les meilleurs mets. Enfin tout le corps recherche ses aises, ses jouissances et tout ce qui conduit aux plaisirs de la chair.

Tout cela existe à un haut degré dans le clergé du monde. Comme on aime à faire bonne chair! Comme on est difficile à table! Quel problème que d’avoir son café à point! de choisir sa tranche de pain grillé! de choisir le morceau de viande le plus tendre, etc…!

Ceux qui font du ministère auprès d’un seul groupe parce qu’ils sont portés là par nature: les uns, ce sont les garçons qu’il faut cultiver: L’avenir de la patrie est là; d’autres, c’est seulement les filles et les femmes qui préparent la patrie de demain. Les uns ont des heures à donner aux grandes Dames riches qui apportent cigares et cigarettes au prêtre si dévoué pour elles! Ils n’ont pas une minute à perdre avec les pauvres! D’autres cultivent les riches et les grands dans l’espérance d’être invités chez eux à de grands dîners où l’on sert de fortes boissons et de bons cigares. Ils n’ont pas le temps d’aller visiter les pauvres et consoler les malades. Tout cela est du paganisme tout pur.

De même ceux qui méprisent tel groupe de prêtres, comme les religieux qui n’estiment pas les prêtres séculiers ou vice versa, comme toutes ces rivalités entre différents religieux: tout cela est du paganisme tout pur!

Depuis des siècles que nos prêtres par le monde sont formés à la seule théologie spéculative en général. Ils ne reçoivent de leurs professeurs que le point de vue philosophique des vérités de foi; ils étudient tout "in se", c’est-à-dire d’une façon purement abstraite et pas du tout en vue du salut de l’âme. Toutes les merveilles que Dieu a opérées pour le rachat de l’humanité passent devant l’esprit des étudiants simplement pour les préparer aux examens de fin d’année. Il faut voir comme les élèves brillants sont estimés pour leur science. Mais la sainteté n’est aucunement appréciée; jamais on aura des égards pour un saint séminariste, mais c’est toujours pour celui qui réussit mieux aux examens, qui est dans la bouche de tout le monde. C’est cette science toute de tête qui porte tant à l’orgueil.

Combien de nos prêtres croient tout savoir en religion parce qu’ils ont touché à tout en théologie spéculative! Mais il leur reste à apprendre toutes les conclusions pratiques de la théologie pratique et ce sont elles qui donnent la sainteté: la connaissance intime de Dieu et l’amour surnaturel de Dieu. Les prêtres en général ne peuvent pas donner ces deux dernières choses puisqu’ils ne les ont pas.

Appelons philosophes les prêtres qui jugent les choses en soi et donc sans aucun rapport avec le salut de l’âme ou avec Dieu et, théologiens ceux qui jugent de toutes les vérités de la religion en rapport avec Dieu et le salut des âmes. Nos philosophes agissent exactement comme les scribes et les pharisiens le faisaient dans l’Ancien Testament. La preuve que la religion n’est pas entrée dans leur coeur avec leurs études est dans ce fait qu’ils n’en parlent jamais et ne veulent pas en parler. Si on veut se débarrasser d’un prêtre qu’on aiguille la conversation sur la religion et tout de suite il disparaît; que dans le clergé on parle des choses de Dieu! Leurs études spéculatives ne leur ont donc pas donné l’amour de Dieu; ils ne peuvent donc pas le donner à d’autres, à leur tour.

Non seulement ils ne donnent pas l’amour de Dieu, mais ils sont les ennemis acharnés de tous ceux qui voudraient le donner. Leur formation spéculative en fait de vrais pharisiens même sans qu’ils le sachent. Cela ne veut pas dire qu’ils sont méchants, mais ils empêchent Jésus de naître dans les cœurs comme les pharisiens ont tué Jésus. C’est qu’ils protègent nos deux amours naturels et ne souffrent pas qu’on les attaque de sorte que l’amour de Dieu qui est Jésus ne peut pas entrer dans les cœurs des chrétiens. Comme ces deux amours sont bons en soi cela suffit pour les philosophes; ils pensent les faire servir pour le ciel. Mais l’amour de Dieu n’entre pas plus dans ces cœurs où habitent encore ces deux amours naturels qu’une épouse reviendrait vivre avec son mari qui garde avec lui ses deux concubines.

Il s’ensuit avec leur mentalité que la justice de nos prêtres ne vaut guère plus que celle des scribes et des pharisiens. En pratique ils se sont tous réfugiés dans la seule loi naturelle. Tout le reste pour eux est un luxe en perfection et de pur conseil. Toute leur prédication pivote sur le péché à éviter et surtout le péché mortel. Du moment qu’un chrétien évite les gros péchés mortels contre la loi naturelle, les prêtres les laissent parfaitement en paix. Ils surveillent aussi s’ils vont à la messe le dimanche pour aider aux quêtes. Les prêtres ont encore un grand zèle pour la messe du dimanche, parce qu’elle est encore leur gagne-pain. On n’exagère pas en parlant de la sorte. Lisez la Semaine religieuse de Québec du 13 mai 1943 et vous verrez un article par le Directeur de la Revue prêchant ouvertement que tout ce que Jésus demandait "strictement parlant" quand il dit: "Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il se renonce lui-même tous les jours, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.", c’était d’éviter le péché mortel. Ce texte qui a servi à tous les saints pour se renoncer le plus possible en toutes choses pour suivre Jésus dans ses humiliations et dans ses souffrances est donné par ce maître philosophe comme pratique aux chrétiens de nos jours dans le même sens que les pharisiens. Eux aussi se contentaient de faire éviter le péché mortel et ils sont tous condamnés par Jésus dans le sermon sur la montagne. "Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens: Vous ne commettrez pas d’adultère, mais moi je vous dis de ne pas même regarder une femme pour la convoiter." Et il repasse tous les péchés mortels que les pharisiens se contentaient de faire éviter à la lettre, strictement parlant. Or, cet article n’a pas soulevé l’indignation du clergé comme il aurait dû si nos prêtres avaient une once d’amour de J-C. Au contraire, on dit même qu’il a été félicité pour sa largeur d’esprit en haut lieux! Cet article exprimait parfaitement la religion de la masse de nos prêtres: la pratique de la loi naturelle seule. Caïphe aurait signé cet article des deux mains et les démons ont dû applaudir en enfer! Il s’appuie surtout sur l’exemple du jeune homme riche. Mais il n’a pas remarqué que Jésus ne cite que les commandements de la loi naturelle à ce bon païen, mais que le premier commandement n’est pas cité du tout et quand Jésus veut le pousser à la pratique de l’amour de Dieu de préférence à l’amour de ses biens, le jeune homme s’en va triste; il ne pratique donc pas l’amour de Dieu qui donne le ciel comme les paroles de Jésus le prouvent bien. Il ne dit pas: qu’il est difficile de se faire religieux pour ceux qui sont riches, comme ce Chanoine le suppose, mais d’être sauvé! Ce jeune homme ne l’était donc pas dans ses dispositions actuelles. Donc tout le raisonnement de notre docteur en Israël tombe. En plus d’éviter les péchés mortels de la Loi naturelle il faut un amour de Dieu qui va jusqu’au mépris des créatures et de soi-même comme Jésus l’enseigne dans le texte cité.

Nos prêtres n’ont en général, que la bonté du jeune homme riche comme tous le prennent pour patron et modèle: c’est exactement la religion des anciens scribes et pharisiens… et les prêtres leur ressemblent parfaitement et dans leur mentalité et dans leur pratique religieuse. Ils font leur ministère pour avoir de quoi vivre et le reste ne les inquiète pas! Leur amour n’est pas en Dieu puisqu’ils n’en parlent jamais et qu’ils ne veulent pas en parler, mais leur amour est tout aux choses du monde comme leurs conversations habituelles sur les vanités du monde le montrent bien.

On ne peut jamais espérer d’autre chose avec une formation théologique spéculative de tous les prêtres du monde: c’est une religion "in se" qu’ils étudient, donc elle n’est pas faite pour les hommes, mais simplement pour leur en parler. C’est une science toute de tête que les prêtres donnent, ce n’est pas la vie de J-C. qu’ils vivent eux-mêmes dans leur coeur. Alors elle ne va pas du tout au coeur des fidèles: elle vient de la tête et reste dans la tête et de là, elle ne passe jamais dans la vie excepté d’une façon factice et extérieure pour rester dans le cadre de la religion catholique, mais sans s’en nourrir.

Oui, le parallélisme entre les anciens scribes et pharisiens avec nos prêtres est parfait et saute aux yeux quand on connaît ce que devrait être un chrétien authentique vivant la vraie vie de J-C. tout aux choses de Dieu et méprisant celles de la terre comme tous devraient faire.

Sa cause profonde: le philosophisme, l’ivraie du clergé.

La grande cause de cette mentalité païenne qui persiste chez nos prêtres comme chez les pharisiens est le philosophisme. Les anciens étudiaient la Loi de Moïse et les prêtres étudient la Loi de J-C., mais avec le même esprit absolument païen, selon le seul point de vue philosophique, "in se", en soi. Il n’y a pas de doute qu’il faut connaître les vérités et les mystères en soi avant de s’en servir, mais la sottise est de se contenter de ce seul point de vue philosophique.

C’est exactement comme si vous veniez dîner chez moi et je passe tout le temps du repas à vous entretenir de ce qu’est un poulet en soi, des avantages d’en manger, etc… et que je ne vous en serve pas du tout. Le lendemain vous venez encore pour dîner et je vous lis un article sur la valeur du jambon … et "in se"… et je ne vous en sers pas. Comme vous seriez vite dégoûté de mes conférences sur les bonnes viandes en soi.

Eh bien! c’est aussi insensé ce qui se fait en théologie. Les étudiants viennent pour se nourrir le cœur des choses divines et pour en vivre afin d’en faire vivre les autres plus tard. Eh bien! un professeur passe son heure de classe à discourir sur une vérité "en soi" et il ne fait pas une application pratique pour la vie de ses auditeurs affamés. Ils ne goûtent rien parce qu’il ne leur est rien donné à goûter. Ils vont d’une classe à l’autre et de jour en jour c’est le même système suivi partout: des conférences sur les choses de Dieu au lieu de servir des repas.

Après quatre ans de ce régime insipide, incolore et inodore, les étudiants sortent de là absolument dégoûtés de l’étude des choses de Dieu, comme on peut le voir par le petit nombre fort restreint de ceux qui continuent de les étudier. Ils se sont écœurés pour la vie! Cependant ils doivent prêcher ces mêmes vérités. Ces pauvres jeunes prêtres vont donner les dissertations abstraites qu’ils ont reçues de leurs professeurs et le peuple va être aussi embêté avec ces sermons abstraits et secs comme du brin de scie et aussi indigestes!

Les prêtres sentent bien qu’ils n’intéressent pas les fidèles, alors ils abrègent leurs sermons qui sont aussi indigestes en cinq minutes qu’en une heure: une pincée de brin de scie est aussi insipide qu’une pleine poche! Ce sont les applications pratiques qu’il faudrait donner et pour cela il faut vivre sa théologie pratique, mais les prêtres dans tout le monde ne l’ont jamais reçue, ils ne peuvent pas la donner. Nous allons voir pourquoi.

Ses conclusions sont contraires à la théologie pratique.

Nos philosophes vont être renversés par une telle affirmation: car dans le monde naturel où ils vivent cela n’est pas vrai. Ce que l’esprit approuve s’accorde avec le cœur de l’homme aussi. Ainsi, quand un païen juge que fumer n’est pas mal, il peut fumer tant qu’il veut sans nuire à l’obtention de sa fin dernière naturelle.

C’est différent dans l’ordre surnaturel. Là, Dieu exige pour donner le ciel, le sacrifice de tout l’humain, de sa sagesse humaine, comme de tout le reste. Dieu a choisi ce qui est insensé selon le monde pour nous sauver, dit St Paul. Cela est vrai non seulement pour Jésus, mais pour nous tous, ses membres mystiques. Dieu veut que l’homme retire son bonheur des choses créées pour le mettre uniquement en Dieu. Tout cela est contre le bon sens naturel. St Paul l’appelle la folie de la croix: c’est donc contraire au bon sens humain.

Voici l’exemple le plus général qu’on puisse donner pour prouver son assertion: L’usage des créatures. Au point de vue philosophique elles sont bonnes en elles-mêmes et la conclusion logique est qu’on peut en jouir tant qu’on veut jusqu’au péché exclusivement.

C’est exactement la doctrine que les prêtres ont prise pour eux-mêmes et qu’ils prêchent par tout le monde avec le résultat que l’on voit: les gens s’amusent le plus possible sans le moindre scrupule pour leur salut. Il est vrai que c’est dans les choses permises, mais elles sont assez nombreuses pour captiver tellement le cœur des hommes qu’il n’en reste plus pour Dieu… et cela est mortel pour un chrétien! Qui le sait ou qui y pense? Les prêtres n’en parlent jamais au point de vue de l’amour de Dieu.

Selon la théologie pratique, les créatures ne sont pas seulement belles et bonnes en soi, mais elles sont les moyens de gagner le ciel. Elles sont la monnaie pour acheter le ciel ou la semence pour le récolter d’après Jésus même. Ce n’est plus une question de bon sens ou de raison; c’est une question de sacrifier les créatures pour acheter le Créateur. Un philosophe règle toute sa conduite avec son "in se". En soi, fumer une cigarette n’est pas mal, donc je la fume! Cela est vrai mais ne donne pas le ciel. J’ai un dollar dans ma main devant un étalage de marchandise je puis bien dire: ce dollar est bon en soi et ce n’est pas mal de le garder, c’est vrai, mais je n’achète rien avec ce raisonnement: Eh bien! tous les plaisirs de la terre sont la monnaie pour acheter les plaisirs du ciel; si on veut ces derniers, il faut sacrifier les premiers, malgré le bon sens de les garder, parce qu’ils sont bons en soi.

C’est là l’erreur de la masse des prêtres. Ils sont restés uniquement au point de vue "in se", au lieu de passer ensuite au point de vue pratique de s’acheter quelque chose au ciel par le sacrifice du plaisir même permis même raisonnable, etc. Comme cette théologie spéculative ne défend que les choses mauvaises, les prêtres prêchent le sacrifice seulement des choses défendues, ce qui n’est qu’une petite partie du plan divin. L’ordre surnaturel ne défend pas seulement le péché mais aussi l’amour des choses créées selon le premier commandement. Voilà ce que les prêtres ne prêchent à peu près jamais aux fidèles. Jésus n’a pas dit: Vous ne pouvez pas aimer Dieu et le mauvais monde, mais le monde tout court, le monde et tout ce qu’il y a dans le monde, dit St Jean, donc les choses permises comme les autres.

L’ivraie consiste en ce que tout ce que les prêtres enseignent est vrai et leur doctrine ressemble au bon froment, mais l’ivraie est dans ce qu’ils ne disent pas, dans toute la pratique de la théologie au point de vue du salut de l’âme comme on vient de le montrer dans l’usage des créatures.

Cette science trompe les fidèles. Par exemple, une fille demande à un prêtre si elle peut aller danser. Notre philosophe répond que la danse en soi n’est pas défendue et tous les deux vont conclure qu’elle peut aller danser tant qu’elle voudra du moment qu’elle ne pèche pas.

Il ne répond pas à sa question. Elle ne demande pas ce que lui pense de la danse, mais ce que Dieu en pense, puisque pour elle évidemment elle veut savoir si danser peut nuire au salut de son âme. Lui, répond en dehors de toute relation avec son salut, il est donc de travers avec elle. Elle ne demande pas ce qu’est la danse dans l’air ou dans l’abstrait mais ce qu’elle est de fait dans le concret. Peut-elle aller danser dans les bras de toutes sortes d’hommes, dans cette atmosphère de paganisme d’où Jésus est exclu et continuer à travailler à devenir une sainte selon sa vocation surnaturelle.

Nos philosophes règlent tout par rapport au péché comme dans l’ordre naturel, tandis que l’ordre surnaturel nous conduit à Dieu qui est amour et donc c’est toujours par rapport à cet amour de Dieu qu’il nous faut régler tous nos cas de conscience. Ne demandons pas si telle chose est péché, mais si Dieu la veut ou ne la veut pas.

Effets désastreux du philosophisme

Sa seule règle pratique ne vaut rien en morale. Au point de vue spéculatif, cette assertion ferait bondir un moraliste philosophe mais dans le concret nous allons voir que c’est parfaitement vrai. La seule règle pratique des philosophes est d’éviter le péché, exactement comme sur le chemin des limbes. Il est évident qu’il faut l’éviter, mais on n’y arrivera pas simplement à vouloir l’éviter.

En théorie les conditions du péché sont faciles et claires, mais dans le concret, qui les connaît? Raisonnons seulement au sujet du péché mortel pour être plus court. Des trois conditions, qui sait exactement où chacune commence? dans les cas extrêmes il est clair qu'on peut les connaître. Quand je me décide volontairement de tuer un homme, je sais ce que je fais, que je fais mal et que c’est mortel. Mais bien avant d’arriver là, il y a du péché et qui le sait exactement?

Qui peut tirer la ligne de démarcation entre la demi-conscience et la connaissance nette? Qui peut distinguer clairement entre la tendance naturelle et la volonté? Que d’angoisses chez les bonnes âmes qui veulent éviter le moindre péché! Que de prêtres s’accusent comme des enfants d’école; en autant que j’en suis coupable…

Mais prenons tout de suite la question de la matière. Pas un prêtre au monde ne sait exactement où commence la matière grave dans aucun cas concret. D’ordinaire quand on pèche on commence graduellement, voulant jouir le plus possible tout en évitant le péché ou au moins le péché mortel. Voici qu’un homme vole des pièces de dix sous; à quel dix sous commence la matière grave? Personne ne le sait. Un autre retarde de payer ses dettes et fait souffrir son prochain plus ou moins; qui peut dire à quelle heure, à quel jour commence la matière grave de cette négligence? Personne au monde ne le sait. Un autre commence à dénigrer son prochain, qui peut l’arrêter exactement avant qu’il passe à la matière grave? Personne au monde.

Cette règle de vouloir simplement éviter le péché n’est donc pas fort pratique; donc la théologie qui la fournit ne vaut pas mieux. Dans le sermon sur la montagne Jésus donne les moyens d’éviter les péchés, mais c’est en évitant les motifs naturels bons en soi qui conduisent au péché. C’est la cause du péché qu’il faut attaquer en bonne médecine spirituelle. Donc il faut attaquer quelque chose qui n’est pas péché. Ce ne peut pas être la grâce. Donc c’est le naturel bon en soi et là où il y a de la liberté: dans les motifs.

C’est un truc du diable de tout faire comparer au péché afin de faire accepter les motifs naturels comme bons pour le ciel. Comme dit St Grégoire, dans le Bréviaire, quand on compare le naturel au péché il paraît estimable, mais quand on le compare au surnaturel il devient vilain et laid.

Que de choses plus ou moins louches et païennes le diable fait accepter aux prêtres avec cette comparaison au péché! Par exemple, ils vont organiser des jeux le dimanche afin de préserver leurs gens de péchés mortels qu’ils commettraient ailleurs. Ils se mettent en tête de toutes sortes d’organisations pour amuser les gens afin de les préserver des péchés! Jésus dit que notre victoire sur le monde vient de la foi! Il ne dit pas d’amusements moins mauvais ou meilleurs que d’autres.

Elle protège nos deux amours naturels qui sont les pires ennemis de Dieu en nous. Car Dieu est amour et pour le récolter il faut semer de l’amour humain ou naturel. Dieu nous a donné précisément ces deux amours comme échantillons du sien. Si nous pouvons tellement aimer les créatures combien plus devons-nous aimer le Créateur? Or comme il s’agit de posséder Dieu dans la vision béatifique, il exige que nous commencions tout de suite à l’aimer comme nous le ferons là. Or au ciel, nous l’aimerons de tout notre cœur, donc il faut commencer tout de suite sur terre dans la liberté qui donne du mérite.

Or, le philosophisme, habitué à considérer les choses en soi, trouve ces deux amours bons et de fait ils le sont en soi. Alors les philosophes les défendent mordicus et ne permettent à personne de les attaquer. Ils protègent donc les deux ennemis de Dieu dans le cœur de l’homme… et Dieu n’entre pas dans le cœur du chrétien.

Les démons savent si bien que l’amour de Dieu n’entre pas dans un coeur qui cultive ces deux amours qu’ils font tout pour les protéger et se servent habilement des prêtres avec leur théologie spéculative qui n’attaque jamais ces deux amours naturels. Mais dès qu’un prêtre veut les attaquer, les démons sautent sur lui pour l’abattre en se servant des philosophes comme instruments aveugles pour le persécuter jusqu’à ce qu’il soit bâillonné. Cette colère des démons montre bien combien ces deux amours naturels leur sont précieux pour perdre les âmes. Ce sont ces deux amours qui fournissent tous les motifs naturels des hommes même des chrétiens en général.

Il tombe dans le jansénisme. Les prêtres nous accusent de jansénisme quand nous prêchons contre les deux amours naturels; montrons que ce sont eux qui y tombent à leur insu.

Le travail de la sainteté consiste à diviniser notre activité naturelle libre qui reste en nous, même quand nous sommes en état de grâce. Les démons portent leurs attaques contre cette activité naturelle libre justement pour l’empêcher d’être surnaturalisée. Avec les jansénistes, ils ont noyé cette activité dans la pourriture de la nature déchue, c’est donc inutile d’essayer de la diviniser; elle est mauvaise par nature selon le jansénisme.

Les vrais théologiens qui leur ont fait la guerre et les Papes qui les condamnèrent insistent tous sur la nécessité de garder cette activité mitoyenne entre le péché et la grâce. C’est ce que dit en toutes lettres le Pape Pie VI qui les condamna avec le Concile de Pistoie. Pour les Jansénistes il n’y avait dans le chrétien que deux sortes d'actions: ses péchés et ses actes méritoires. Les Papes condamnèrent cette idée; ils exigent une série d’actions mitoyennes entre péché et actes méritoires pour le ciel. Ce sont toutes ces actions indifférentes en soi qui sont le champ normal de l’activité de tout chrétien. Avec la grâce de Dieu il doit surnaturaliser toute cette activité. C’est ce que l’Écriture enseigne: "Soit que vous mangiez, soit que vous buviez ou autre action que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu." St Paul.

Comme les hérésies vont d’un extrême à l’autre, quand le jansénisme fut condamné, le diable essaya un autre truc qui lui réussit aussi bien que le jansénisme. Avec l’aide de nos philosophes, il noya toute notre activité libre intentionnelle dans le surnaturel de la grâce sanctifiante; c’est encore plus alléchant que dans la pourriture de la nature déchue! Le résultat est le même: le chrétien n’a plus à s’occuper de sanctifier cette activité libre; elle l’est automatiquement par la grâce sanctifiante.

Ainsi nos philosophes enseignent dans tout le monde que du moment qu’on est en état de grâce toutes nos actions honnêtes sont méritoires pour le ciel. Ils arrivent donc à la même conclusion que les Jansénistes; il n’y a que deux sortes d’actions dans un chrétien: ses péchés et ses actes méritoires, justement ce que le Pape Pie VI a condamné chez les Jansénistes.

Nos philosophes prétendent s’appuyer sur St Thomas qui de fait a les mêmes paroles, mais avec des conditions que nos philosophes négligent de prendre. Il le dit pour celui qui s’est donné à Dieu par un acte personnel de telle sorte qu’il n’aime aucune créature autant que Dieu, plus que Dieu et contre Dieu. Ce qui veut dire sans aucune attache et donc un homme qui vit uniquement pour Dieu. Dans la proportion qu’il fait cela alors on peut dire que toutes ses actions honnêtes sont surnaturalisées par l’influence de sa fin dernière qu’il a non seulement dans l’esprit mais dans le cœur. En d’autres termes, en proportion qu’on est saint, ce principe peut être vrai. Mais c’est absolument faux de le donner en général à tout acte fait en état de grâce par nos chrétiens, si païens de mentalité.

Si un mari "adore" sa femme, on peut dire que tout ce qu’il fait plaît à sa femme. Mais est-ce que cela est vrai pour tous les maris? Ce serait absolument faux. Il en est ainsi dans la vie spirituelle; chez ceux qui aiment vraiment Dieu de tout leur cœur et en proportion qu’ils persévèrent dans cet amour de Dieu, leurs actes peuvent participer à cet amour et avoir du mérite divin.

Tous les prêtres qui prêchent ce fameux principe sont donc des philosophes qui tombent dans le Jansénisme par un moyen contraire, mais aussi efficacement que les Jansénistes.

Les Jansénistes éloignaient les fidèles des sacrements et les philosophes les y poussent en vain pour un très grand nombre. Ils laissent aux fidèles leurs deux amours naturels qui vont empêcher l’amour de Dieu d’entrer dans leur cœur même avec la communion fréquente. Ils reçoivent Jésus matériellement, mais pas amoureusement.

Les prêtres ont beau prêcher la communion fréquente et parler de ses effets merveilleux "in se", s’ils laissent aux fidèles leurs deux amours naturels, comme ils le font tous en général, les gens retirent peu ou pas de fruits de leurs communions. Les philosophes comme les Jansénistes ne voient rien de mal dans ces deux amours naturels et c’est vrai "in se", mais ils devraient attaquer toute cette activité bonne en soi, mais toute naturelle et donc contre Dieu. Nous avons déjà montré leur opposition.

Il persécute les prédicateurs de l’amour de Dieu. Une note essentielle du christianisme est d’implanter dans le cœur de l’homme l’amour de Dieu de préférence à l’amour des choses créées. Les hommes vont se défendre comme des diables pour garder leurs deux amours et leurs meilleurs auxiliaires sont les prêtres philosophes, absolument païens de mentalité avec leur théologie purement spéculative. Chaque groupe défend son bien avec tout l’amour de son cœur; c’est pour cela qu’il y aura toujours une lutte à mort entre eux. Or, comme les philosophes sont les plus nombreux et qu’ils ont tous les démons de leur côté, ils vont faire à tout prédicateur de l’amour de Dieu ce que les démons, aidés des pharisiens ont fait à Jésus: ils vont le persécuter jusqu’à ce qu’il soit bâillonné par ses supérieurs, ordinairement philosophes comme les autres prêtres d’où ils sont tirés. "Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui, mais parce que vous m’appartenez, le monde vous hait comme il m’a haï et il vous persécutera comme il m’a persécuté." Le philosophisme est donc un instrument merveilleux dans les mains des démons pour faire arrêter tout prêtre qui voudrait prêcher l’amour de Dieu par le mépris de nos deux amours naturels.


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