"Il est de la plus haute importance que l'âme s'exerce beaucoup à l'AMOUR, afin que, se consommant rapidement, elle ne s'arrête guère ici-bas, mais arrive promptement à voir son Dieu face à face." (S. Jean de la Croix)

MES RETRAITES

Avis aux lecteurs...

Première Série des Retraites

du Père Onésime LACOUTURE, s.j.

Doctrine surnaturelle

pour se défaire de toute mentalité païenne.


Troisième instruction

Leur opposition


"Tout ce que vous faites, faites-le de bon cœur comme le faisant pour le Seigneur et non pour les hommes."
Col. 3-23.

Plan

Où est cette opposition?

Cette opposition prouvée par…

Ses causes en nous…

Conséquence: motifs naturels…

Où est cette opposition?

L’opposition entre le naturel et surnaturel se trouve dans les motifs ou dans l’orientation intentionnelle de notre activité libre et mentale. Que les prêtres philosophiques prennent note de cette affirmation! et qu’ils ne viennent pas nous attaquer avec l’accord du naturel et du surnaturel que nous avons signalé dans l’instruction précédente. Dans toute cette instruction-ci nous parlons uniquement des motifs et pas du tout du naturel ou du surnaturel en soi. Comme les prêtres ignorent en général la question ou la science des motifs, donnons un exemple pour illustrer ce que nous voulons dire.

Supposons que nous sommes au temps des persécutions; un jour je me convertis tandis que ma mère reste païenne On me dénonce comme chrétien et l’on va me martyriser. Ma mère accourt pour plaider afin que j’apostasie pour rester avec elle.

Me voilà pris entre deux amours voulus par Dieu. Il n’y a pas d’opposition entre ces deux amours "in se", en soi, et je puis les garder tous les deux. Voilà ce qui doit satisfaire les philosophes. Mais voici où commence l’opposition: si j’agis selon mon amour pour ma mère, j’apostasie et je commets un péché mortel et je perds Dieu. Si j’agis selon mon amour pour Dieu, je brise le cœur de ma mère et je suis martyrisé. Donc c’est agir selon ces deux amours qui sont contraires l’un à l’autre. C’est donc dans les motifs qu’est l’opposition. Or si ces motifs sont contraires à l’heure de la mort ou quand il s’agit de la mort, ils le sont autant aussi durant la vie et dans toutes les actions d’un chrétien.

Qu’est-ce qu’un motif? C’est la raison d’agir. Or nous savons que c’est l’amour qui mène l’homme; il suit ce qu’il aime. Pourquoi va-t-il à la pêche en vacances? Parce qu’il aime la pêche. Un autre va à la chasse, pourquoi? Évidemment parce qu’il aime la chasse ou qu’il aime le gibier qu’il va tuer. C’est l’amour qui nous fournit nos motifs.

Eh bien! nous savons que Jésus a tranché la question de notre amour pour Dieu et pour le monde; Il dit carrément qu’on ne peut pas aimer les deux, qu’on aimera l’un et haïra l’autre ou vice versa. L’amour surnaturel de Dieu est donc contraire à notre amour pour le monde et pour soi-même, qui est au fond le même que pour le monde.

L’amour naturel est donc contraire à l’amour surnaturel de Dieu. Notre cœur est pris entre ces deux amours: l’amour des choses créées et de soi-même et l’amour de Dieu. Comme dit St Thomas, pour que notre cœur aille vers un de ces amours, il doit s’éloigner dans la même proportion que l’autre.

Qu’on se rappelle ce qu’on a déjà dit de sa personnalité morale comme rivale de celle de Dieu en nous. Ce moi doit être décapité pour que Dieu devienne le maître de mon être dans mon cœur. Je serai transformé en J-C. en proportion que je me renonce moi-même. Eh bien! les motifs naturels sont ceux qui proviennent de ce petit dieu en moi, qui veut régner sur l’univers et qui recherche tout pour ses propres intérêts sans s’occuper de ceux de Dieu. Tandis qu’un motif surnaturel fait tout converger vers Dieu; il vient de Dieu d’une façon ou d’une autre et retourne à Dieu. C’est Dieu qui est le centre de sa vie, tandis que c’est le païen en chacun de nous qui alimente nos motifs naturels. On voit tout de suite que ces deux sortes de motifs sont aussi opposés entre eux que les deux amours qui leur donnent naissance. En effet, un motif est l’amour qui agit sur nos facultés spirituelles en vue de satisfaire cet amour; on peut donc dire des motifs ce qu’on dit des amours. C’est par nos motifs que nous pouvons connaître quel amour nous fait agir.

On a un bon échantillon des motifs dans les microbes. "En soi", ils sont bons puisque c’est Dieu qui les a créés. Mais ils font leur ravage "in nobis", en nous. Eh bien! qu’ont fait les médecins quand Pasteur les a découverts? Ils ont fait des conférences contre les microbes; ils ont voulu créer une mentalité chez le peuple de peur des microbes en lui montrant tout le mal qu’ils font dans le corps des hommes. Ils ont montré comment désinfecter les chambres et le linge de ceux qui avaient été infectés. Ils ont voulu donner l’horreur des microbes afin que les gens prennent tous les moyens possibles pour s’en défaire et s’en protéger.

Eh bien! les microbes de la vie spirituelle ce sont les motifs naturels: quelque bons qu’ils soient en eux-mêmes, en nous, ils font de terribles ravages dans la vie surnaturelle et tous les prêtres devraient faire une campagne systématique auprès du peuple pour lui donner l’horreur des motifs naturels qui font un tort immense à la vie chrétienne. Que chacun se surveille pour se débarrasser le plus vite possible de tous ses motifs naturels pour n’agir qu’avec des motifs surnaturels.

Un truc ordinaire des démons et des hommes est d’aiguiller la question sur d’autres points insolubles. Par exemple, on dira: ma mère est une sainte, allez-vous me dire que lorsqu’elle va boire un verre d’eau parce qu’elle a soif, qu’elle n’a pas de mérite? Je réponds simplement que je ne sais pas, ni vous non plus, ni elle peut-être. Dieu seul connaît la valeur des actes de votre bonne mère. Mais une chose certaine c’est qu’une foule de bons chrétiens perdent leurs mérites souvent par leurs motifs naturels que les prêtres n’ont jamais attaqués devant eux.

Ces cas concrets individuels ne règlent rien; on n’en sait rien C’est aussi insensé que si on demandait au médecin qui vient de faire une conférence contre les microbes: dites-nous donc combien de microbes vous avez, ou mon père ou ma mère? Tout ce qu’il a pu dire contre les microbes reste vrai même s’il ne peut pas répondre à ces questions concrètes. Combien de gens vont nier leurs motifs naturels dans des attaches sûrement bien naturelles. Que de bons chrétiens seraient capables de mettre un bien plus grand nombre de motifs surnaturels dans leur vie si on leur apprenait à le faire!

Cette opposition est prouvée.

Par l'Écriture Sainte. Tout le sermon sur la montagne, en ST M. 5, 6, 7, est une attaque en règle contre les motifs naturels et un enseignement clair pour les motifs surnaturels. Voici l’idée fondamentale de ce sermon: cessez d’agir comme des humains pour agir comme des êtres divins que vous êtes. Puisque vous êtes les enfants de Dieu, agissez comme votre Père céleste. Ce que Jésus dit de l’amour des ennemis s’applique à tout le reste. Il veut que nous aimions nos ennemis: "Afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et les méchants et fait pleuvoir sur les justes et les injustes." Toute la doctrine donnée là est pour nous faire agir comme Dieu dans le ciel parce que nous sommes élevés à son rang et destinés à aller jouir de lui au ciel.

Jésus attaque donc nos deux amours naturels: nos deux fournisseurs de motifs naturels et les pires ennemis de l’amour de Dieu en nous. Jésus Christ veut que nous leur fassions une guerre à mort. Rien que les trois premières béatitudes sont la mort de nos deux amours naturels pour les créatures et pour nous-mêmes. Une fois débarrassés de ces deux amours naturels, nous sommes semblables à Dieu et nous pouvons pratiquer les autres béatitudes: avoir faim et soif de la sainteté de Dieu, être purs, miséricordieux et pacifiques, etc.

Remarquons que Jésus condamne des motifs naturels bons en soi. "Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous? Les publicains ne le font-ils pas aussi? Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous de plus? Les païens ne le font-ils pas aussi?" Ces motifs sont parfaitement légitimes en soi et bons et cependant Jésus dit que nous n’aurons pas plus de récompense que les publicains et les païens. Tout le sermon s’applique certainement à tous les futurs chrétiens qui seraient en état de grâce.

Jésus dans ces textes donne un démenti formel à tous ces prêtres qui enseignent ouvertement de nos jours que lorsque nous sommes en état de grâce, toute action honnête est méritoire pour le ciel. Ce n’est pas vrai d’après Jésus. Le texte suivant le prouve encore mieux.

"Gardez-vous de faire (vos actions) vos bonnes œuvres devant les hommes pour être vus d’eux, autrement vous n’en recevrez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux." Et Il cite les trois genres qui comprennent toutes les bonnes œuvres: le jeûne, l’aumône, et la prière. C’est sûrement dit pour nous en état de grâce, c’est absolument général. Si on les fait pour les hommes ou pour sa propre gloriole on n’aura rien devant Dieu; si on les fait pour Dieu, on sera récompensé. N.S. fait dépendre le mérite de nos bonnes œuvres uniquement des motifs. Nos philosophes ignorants et païens de nos jours le font dépendre uniquement des actions elles-mêmes. "Quand on est en état de grâce, toute action honnête est méritoire sans s’occuper des motifs." Ils ont bien menti! Jésus dit que si on les fait pour de bons motifs, on n’a aucune récompense dans le ciel.

Je sais que nos philosophes ignorants vont dire que faire ses bonnes œuvres pour être vus des hommes est péché de vanité. Ce n’est pas péché dans l’ordre naturel. Est-ce que tous nos professeurs prêtres dans tous les collèges classiques du monde ne nous ont pas montré les héros païens comme admirables? Or ils agissaient tous pour être vus des hommes. Si c’était un péché, tous ces prêtres ont péché en enseignant les classiques, ce qui n’est pas vrai.

En St Luc, 14-12. Il ne veut pas qu’on invite ses amis à dîner de peur que ce soit pour être invité en retour. Or ce motif bien naturel est bon en soi; il n’y a pas l’ombre de péché et pourtant Jésus n’en veut pas. Il ne veut que des motifs purement surnaturels. Il veut qu’on invite les pauvres et les estropiés pour être sûr que ce n’est pas dans l’espérance d’être invité par eux en retour; donc que ce soit bien uniquement pour Dieu.

"Lorsque vous donnerez à dîner ou à souper, ne conviez ni vos amis ni vos frères ni vos parents, ni vos voisins, qui sont riches, de peur qu’ils ne vous invitent à leur tour et qu’ils ne vous rendent ce qu’ils ont reçu de vous. Mais lorsque vous ferez un festin, appelez les pauvres et les estropiés, les boiteux et les aveugles et vous serez heureux de ce qu’ils n’auront pas le moyen de vous le rendre, car Dieu vous le rendra à la résurrection des justes."

St Paul, comme Jésus, condamne souvent des motifs naturels bons en soi. Col. 3-23: "Tout ce que vous faites, faites-le de bon cœur, comme le faisant pour le Seigneur et non pour les hommes, sachant que c’est du Seigneur que vous en recevrez la récompense." Quand on travaille pour Jacques ce n’est pas Pierre qui paie. Quand on travaille pour les hommes d’une façon ou d’une autre, ce n’est pas Dieu qui paie. Si on veut être payé par Dieu, qu’on travaille pour Dieu! St Paul défend de faire quoi que ce soit pour les hommes, mais uniquement pour Dieu, si on veut une récompense de Dieu. C’est bien ce que Jésus enseigne dans le sermon sur la montagne. Pour St Paul aussi donc la récompense dépend des motifs, pas du fait qu’on est en état de grâce, ni que ce sont des bonnes œuvres. Nos philosophes païens du clergé ont donc St Paul contre eux aussi!

Par les Saints. Commençons par St Ignace. C’est incompréhensible que tous nos pères ne soient pas des ennemis acharnés des motifs naturels bons, après tout ce qu’écrit St Ignace! Il faut que le philosophisme les ait aveuglés complètement pour être encore en faveur des bons motifs naturels.

Son expression "affection déréglée" dans tous les exemples que St Ignace donne veut dire de bons motifs naturels.

Dans le titre, il dit: exercices spirituels pour se vaincre afin de se déterminer à agir sans aucune affection déréglée. Or se vaincre, ce n’est pas simplement détruire le péché et ce qu’il y a de mauvais, mais c’est renoncer à ses deux amours naturels qui sont bons en soi et qui nous fournissent de bons motifs naturels. Plus on aura vaincu ces deux amours naturels ou de sa personnalité morale, moins on aura d’affections déréglées. Pour St Ignace tout ce qui ne vient pas de Dieu, donc tout ce qui n’est pas surnaturel est déréglé comme nous allons voir.

Dans l’indifférence le Saint ne veut pas qu’on préfère la santé à la maladie, la richesse à la pauvreté et une longue vie à une courte vie. Pourtant les bons motifs naturels pour le faire ne manquent pas. Pour lui ce serait déréglé que cette préférence qui ne viendrait pas de Dieu et sa conclusion le montre, choisissant uniquement ce qui nous conduit plus sûrement à notre fin dernière.

Dans le préambule de l’élection il appelle déréglé le motif sûrement bon en soi de se marier ou de prendre un bénéfice pour les avantages temporels ou les intérêts personnels. Il conclut: "rien ne doit me mouvoir (il s’agit donc bien des motifs) à prendre tel de ces moyens ou ceux-là ou à les laisser, sinon le seul service et la louange de Dieu, N.S. et le salut éternel de mon âme." C’est donc uniquement notre fin dernière surnaturelle qui doit nous fournir des motifs partout et toujours.

Dans la 16ème annotation, St Ignace dit clairement que tout motif qui ne vient pas uniquement de Dieu est désordonné. Il rejette donc tous les motifs qui viennent de l’homme d’une façon ou d’un autre. Nos philosophes comprendront-ils jamais?

"Si une âme est attachée ou portée d’une façon désordonnée à une chose, il est opportun qu’elle se meuve de toutes ses forces pour parvenir à la chose contraire à celle pour laquelle elle est portée d’une manière mal ordonnée; par exemple, si elle est ainsi portée à rechercher et à posséder un emploi ou un bénéfice non pour l’honneur et la gloire de Dieu N.S. et pour le salut spirituel des âmes." (Il ne veut donc que des motifs surnaturels), mais pour ses avantages et utilités temporelles (voilà des motifs naturels très bons en soi) elle doit pousser son affection vers le contraire, insistant dans ses prières et dans ses autres exercices spirituels, protestant qu’elle ne veut point cet emploi ou ce bénéfice ou toute autre chose (sa doctrine est donc bien générale), à moins que sa Majesté divine, ramenant ses désirs à l’ordre, ne change son premier désir (donc l’enlève, la détruise, et non pas qu’il ajoute un motif surnaturel, comme tant de nos pères le disent) de telle sorte que la raison (donc le motif) de désirer ou de conserver l’un ou l’autre soit uniquement le service, l’honneur et la gloire de sa divine majesté."

Comment St Ignace pourrait-il être plus clair, plus catégorique dans sa haine contre les motifs naturels même bons et son exigence absolue pour des motifs surnaturels seuls.

Dans la 5ème règle pour la distribution des aumônes, St Ignace appelle encore affection désordonnée une simple préférence pour une des personnes ou une inclination naturelle. Il ne faut pas qu’elle fasse ses aumônes avant d’avoir écarté et rejeté tout à fait son affection déréglée. Là encore il n’y a pas l’ombre d’un péché, mais c’est simplement un bon motif naturel qu’il rejette absolument et qu’il appelle déréglé.

Les trois classes d’hommes ont acquis un bien honnêtement, mais parce que leurs motifs n’étaient pas purement par amour pour Dieu, donc pas exclusivement pour des motifs surnaturels, il veut qu’ils se défassent de leur affection déréglée et pour leur salut éternel et pas seulement pour plus de perfection. "Tous veulent se sauver en secouant le poids et l’obstacle qu’ils rencontrent dans l’attachement pour le bien acquis.

Dans la 8ème règle du Sommaire, il écrit: "Qu’il travaille donc soigneusement à se détacher entièrement de cette affection que la chair et le sang donnent pour les parents et à la changer en affection spirituelle. Pour ne les aimer que du seul amour que demande la charité bien réglée comme doit faire celui qui étant mort au monde et à l’amour-propre (il veut donc la mort de nos deux amours naturels qui nous fournissent tous nos motifs naturels: donc il ne veut plus jamais de motifs naturels puisque leurs deux sources sont mortes) ne vit plus qu’à J-C." Celui qui ne vit plus qu’à J-C. prend uniquement en J-C. ses motifs d’agir.

Qu’on ne vienne pas dire qu’il parle là à des religieux. Il ne pourrait pas enseigner cette doctrine aux siens si elle n’était pas déjà dans la doctrine de l’Église. Elle est donc vraie pour tout chrétien. Là encore St Ignace ne veut pas de motifs naturels pourtant excellents en eux-mêmes.

Dans la 17ème règle, St Ignace étend à toutes choses ce qu’il a dit de l’affection des parents. Il exige exclusivement des motifs surnaturels en toutes choses.

"Que tous aient une intention droite (pour lui une intention droite est une intention surnaturelle) dans toutes les choses particulières (que de prêtres nous trouvent exagérés d’exiger un motif surnaturel dans chaque action!) ne cherchant qu’à plaire à Dieu en toutes choses (voilà le motif surnaturel pour son intention droite) se dépouillant de toute affection des créatures (donc la rejetant, la détruisant; il ne dit pas d’y ajouter un motif surnaturel comme tant de prêtres et de Jésuites le disent) pour transférer sur Dieu toute leur affection (Il n’en reste donc plus pour les créatures; il ne dit pas de les aimer tous les deux ou l’un moins que l’autre ou d’une façon subordonnée, comme tant le disent.) Il veut une aversion entière pour tout ce que le monde aime et embrasse.

Donc pour St Ignace tout motif qui ne vient pas exclusivement de Dieu d’une façon ou d’une autre est absolument déréglé pour le ciel. Donc pour lui tous les motifs naturels quelque bons qu’ils soient sont déréglés et doivent être rejetés sans merci comme bons à rien pour le ciel et donc contraires à Dieu. Tous les prêtres, Jésuites comme les autres, qui acceptent les motifs naturels comme bons pour le ciel sont contraires à St Ignace.

St Jean de la Croix a écrit trois volumes pour attaquer les motifs naturels comme bons en soi dans tous les degrés de la vie spirituelle. Sa doctrine est bien résumée dans le 4ème chapitre de la Montée du Carmel, liv. 1er: "Deux contraires selon l’enseignement de la Philosophie, ne peuvent subsister à la fois dans un même sujet. Or les ténèbres, qui sont l’attachement aux créatures, et la lumière qui est Dieu, sont contraires et dissemblables… Dès que les créatures ne sont rien les inclinations qui nous portent vers elles sont moins que rien, nous pouvons l’affirmer, puisqu’elles sont une entrave pour l’âme et la privent du bienfait de la transformation en Dieu… l’aveugle, plongé dans l’obscurité, ne comprend rien à la lumière; ainsi l’âme qui met son affection dans la créature n’aura pas l’intelligence des choses de Dieu et demeurera ensevelie dans cette ignorance. Jusqu’à son entière purification elle ne pourra posséder Dieu ici-bas par la pure transformation de l’amour ni là-haut dans la claire vision."

Comme ce sont les affections qui nous fournissent les motifs, ce qu’il dit de l’affection naturelle est vrai pour les motifs naturels qui jaillissent de là. Ce saint a exactement la même doctrine que St Ignace bien compris. Les deux font la guerre à mort à tout motif naturel même bon en soi.

St Alphonse de Liguori dit dans son Amour divin, ch. 7ème: "Arrêtons-nous ici à considérer qu’il ne suffit pas de faire le bien, il faut le bien faire. Pour que nos actions soient vraiment bonnes et parfaites, il est nécessaire de les accomplir avec la pure intention de plaire à Dieu. C’est la digne louange qui fut décernée à J-C.: Il a bien fait toutes choses. Certaines actions auront été louables en elles-mêmes mais inspirées par une intention étrangère à la gloire de Dieu; dès lors Dieu les comptera pour peu et même pour rien. Ste Madeleine de Pazzi disait que Dieu récompense nos œuvres au poids de leur pureté.

Combien se dépensent, s’exténuent même dans l’exercice des fonctions les plus saintes de prédicateurs, de confesseurs, de missionnaires, mince ou nul sera leur profit, s’ils regardent à autre chose qu’à Dieu seul, à la gloire devant le monde, à l’intérêt, à la vaine envie de paraître ou simplement à la satisfaction d’une ardeur naturelle."

St François de Sales, ch. 23ème, liv. 1er, Vie Dévote.: "C’est pourquoi je vous dis, Philothée, qu’encore que ce ne soit pas un péché en soi qu’un jeu réglé, une danse modeste, une riche parure sans aucun air de sensualité, une comédie honnête dans sa composition, et dans sa représentation, un bon repas sans intempérance; cependant l’affection qu’on y aurait serait entièrement contraire à la dévotion, extrêmement nuisible à l’âme et dangereuse pour le salut."

Voilà encore un Docteur de l’Église qui condamne l’affection pour de bonnes choses en soi; il condamne aussi les motifs que ces affections fournissent à l’âme. En voilà encore un qui n’admet pas que toute bonne action faite en état de grâce est méritoire pour le ciel. Tout dépend des motifs comme Jésus dit dans le sermon sur la montagne. Prendre un bon repas sans intempérance n’est sûrement pas péché et si le motif est l’affection naturelle qu’on y a, il est tout ce que le saint dit ici.

Ces témoignages devraient suffire pour convaincre les retraitants que les Saints suivent J-C. dans leur guerre aux motifs naturels même bons en soi. Pour changer les idées des philosophes sur ce point il faudrait un miracle de premier ordre et des grâces bien extraordinaires. Prions pour qu’ils les reçoivent un jour.

Les auteurs spirituels. Nous avons l’Imitation de J-C. qui contient sûrement la doctrine courante de son temps. Or il a tout un chapitre, le 54ème du 3ème livre sur cette opposition. "Des divers mouvements de la nature et de la grâce."

"Mon fils, observe avec soin les mouvements de la nature et de la grâce, car, quoique très opposés, la différence en est quelquefois si imperceptible qu’à peine un homme éclairé dans la vie spirituelle en peut faire le discernement. La nature n’a jamais d’autre fin qu’elle-même… la grâce renvoie fidèlement tout à Dieu… La nature convoite les biens du temps, la grâce n’aspire qu’aux biens éternels, la nature se porte vers les créatures… la grâce élève à Dieu, etc…" Or les motifs suivent ces affections contraires et donc le sont aussi.

Scupoli, le Combat spirituel, 2ème partie, ch. 10: "Au commencement de vos actions vous purifierez votre intention (vos motifs) de tout élément terrestre et humain, en tout et partout vous vous efforcerez de régler votre amour et votre haine sur la seule volonté de Dieu." Un peu avant il dit: Remarquez-le bien, il ne suffit pas de vouloir ni même de faire ce qui est le plus agréable à Dieu, il faut encore le vouloir et le faire sous l’empire de la grâce et avec l’intention de plaire à Dieu (motif surnaturel) et c’est surtout cette intention (nos motifs) que nous devons surveiller. Toujours assoiffée de plaisir, la nature cherche sa propre satisfaction en tout et partout… quand se présente l’occasion de faire quelque bonne œuvre, avant de permettre à votre cœur de le désirer ou de s’y affectionner, élevez au ciel votre esprit et demandez-vous: "Dieu veut-il cette action? Si je la désire est-ce uniquement pour lui être agréable?" Lui aussi ne veut que des motifs surnaturels et rejette tous les autres.

Nous avons déjà cité Rodriguez et Surin et nous pourrions en citer bien d’autres qui enseignent la nécessité de nous débarrasser de tout motif naturel pour n’agir que pour des motifs surnaturels. Cela devrait suffire pour nous convaincre de la nécessité absolue de faire la guerre à tout motif naturel quelque bon qu’il paraisse ou qu’il soit et agir toujours uniquement avec des motifs surnaturels: ce sont les seuls que Dieu récompense dans le ciel!…

Ses causes en nous.

La concupiscence est un attrait sensible pour les plaisirs. Elle est la grande pourvoyeuse de nos motifs naturels parce qu’elle se glisse facilement dans toutes nos démarches et dans toutes nos actions pour nous faire jouir des créatures qui se présentent sur notre chemin.

On rencontre une personne par affaire, puis il se glisse un amour qui invente des prétextes pour multiplier ces rencontres parce qu’on y trouve une certaine satisfaction. Que de motifs naturels vont surgir de là pour rencontrer cette personne!

On prend de la liqueur pour une raison de santé, pour un rhume, un frisson, pour mieux dormir, puis on développe du goût pour la liqueur et l’on va jusqu’aux excès. De même on va voir une partie pour se reposer, puis une autre et bientôt on est pris par l’amour de ce plaisir. Cet amour va alimenter l’esprit de toutes sortes de motifs naturels pour satisfaire cette passion. La vie est remplie des effets des motifs naturels de la concupiscence. Chacun doit se surveiller sur ce point. C’est elle qui lui vole le plus de mérites éternels. C’est elle qui enlève beaucoup de mérite à l’offrande du matin au Sacré. Cœur. D’ordinaire on ne parle que de péché ou de rétractation explicite; il y a cette concupiscence qui se glisse partout dans la vie de la plupart des chrétiens et qui leur fournit des motifs naturels qui leur font perdre leur mérite éternel.

Notre destinée surnaturelle nous élève au rang des enfants de Dieu en nous faisant participer à sa nature. Évidemment c’est pour nous faire agir comme tels. Comme dit St Paul: "Ceux-là sont les enfants de Dieu qui sont conduits par l’Esprit de Dieu." Rom. 8-14. Si un roi adoptait un pauvre journalier pour vivre avec lui à sa cour, il exigerait une transformation complète dans les habitudes de ce journalier. Il devrait prendre les façons de faire de la cour et s’adapter à toutes ses exigences. Eh bien! maintenant que nous appartenons à Dieu nous devons agir comme des dieux en autant que notre condition humaine le permet avec la grâce de Dieu et dans la foi. C’est donc en Dieu que nous devons prendre nos motifs. Au ciel nous n’aurons pas un seul motif naturel; eh bien! c’est la vie du ciel que nous devons commencer tout de suite sur terre. Agir avec des motifs naturels c’est renier sa destinée surnaturelle et c’est insulter Dieu.

Exemple: Supposons que Dieu appelle les poissons à vivre comme des oiseaux et qu’il leur donne des ailes pour cela. Ces poissons pourraient bien raisonner comme nos philosophes et dire: en soi il n’y a pas de mal à nager dans cette belle eau que Dieu a créée. Peu importe leur "in se" ou en soi. Dieu ne veut plus qu’ils vivent comme des poissons, mais comme des oiseaux. Tout ce qu’ils font en tant que poissons déplaît à Dieu puisqu’il veut qu’ils vivent à l’avenir comme des oiseaux dans les airs. C’est une question non pas "en soi" mais de ce que Dieu veut.

C’est exactement le cas des hommes qui étaient de simples païens, des naturels vivant pour le monde et pour eux-mêmes selon leurs deux amours naturels. Or Dieu les élève à l’ordre surnaturel pour vivre comme des enfants de Dieu qu’ils sont maintenant, tout aux choses de Dieu et pas du tout pour celles de la terre. "Si vous êtes ressuscités avec J-C. n’ayez de goût que pour les choses du ciel et non pour celles de la terre." Notre manière de vivre doit être dans le ciel dit l’Apôtre. C’est là qu’un chrétien doit prendre tous ses motifs.

St Paul dit que par le baptême nous avons été ensevelis avec N.S. et ressuscités avec lui par la foi que nous avons en la puissance de Dieu et nous a fait prendre place au ciel dans sa personne; vous êtes morts et votre vie est cachée en J. C. On trouve ces idées dans toutes les épîtres de St Paul. Nous ne devons plus exister dans le monde naturel, il est mort pour nous. C’est donc absurde d’aller chercher nos motifs dans ce tombeau pour une vie de chrétien qui doit être tout en Dieu. Il faut être aveuglé par le philosophisme pour cultiver encore des motifs naturels même bons en soi. Ce sont des motifs de mort qui ne valent rien pour la vie surnaturelle. Il veut que nous soyons parfaits comme le Père céleste est parfait. Or il n’agit pas pour des motifs naturels, mais pour des motifs divins uniquement… et c’est ce que nous devons faire tous sous peine de ne recevoir aucune récompense pour ces actes faits avec des motifs naturels. Ce n’est pas pour rien qu’il nous fait dire tous les jours: Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Pour le faire ainsi il faut vivre comme dans le ciel et donc uniquement pour Dieu par des motifs surnaturels.

Quand un chef d’orchestre demande à ses musiciens de transposer un morceau de musique d’une clef à une autre, si un musicien se disait comme nos philosophes: "en soi" ce n’est pas mal de jouer sur la première clef, il produirait un désaccord qui choquerait le directeur et il admonesterait vite ce musicien. Eh bien! Dieu nous a commandé à tous de transposer notre vie de la clef naturelle à la clef surnaturelle et celui qui continue de jouer au naturel insulte Dieu et il le paiera cher un jour.

Les chrétiens comme les prêtres ne sont pas assez convaincus de l’énorme distance entre le monde naturel et le surnaturel, c’est comme si c’était seulement un degré ou une nuance de plus grande perfection. Tous passent facilement de l’un à l’autre et sont heureux surtout dans le monde naturel. Comme ils se démènent tous pour y rester! Que de sophismes même chez les prêtres pour se défendre contre les empiétements du surnaturel comme d’un ennemi! Ils cèdent quand ils sont obligés sous peine de péché mortel… et encore…! Ils se cramponnent à tous les principes naturels païens possibles pour défendre leurs positions dans le monde naturel. Le monde naturel est le monde humain, tandis que le monde surnaturel est le monde divin; ils sont essentiellement distincts et le monde surnaturel vit aux dépens du monde naturel. Ce n’est donc pas seulement une question de nuance de plus grande perfection dans l’un plutôt que dans l’autre. Ils sont opposés comme la lumière aux ténèbres, comme la vie à la mort, comme le céleste au terrestre, comme le monde de la foi à celui de la raison. Toute cette distinction essentielle et cette opposition essentielle restent vraies quand même que le surnaturel agit dans la nature physique de l’homme comme base de ses opérations. L’esprit agit bien dans les cellules cérébrales matérielles et pourtant ils sont tout à fait distincts.

Surtout quand on ne prend que les motifs tout est parfaitement correct dans ce que nous venons de dire. Ceux qui font objection sont les philosophes qui persistent à ne considérer que le naturel et le surnaturel "in se" en soi, au point de vue physique; nous avons assez montré dans l’instruction précédente qu’ils s’accordaient très bien à ce point de vue. Dans cette instruction nous ne parlons que des motifs seuls et c’est là que se vérifie l’opposition dont nous parlons.

Deux amours contraires. Par nature nous avons deux amours naturels: L’amour des créatures et l’amour-propre, au fond c’est le même amour: L’amour du créé et du sensible. Ces deux amours constituent toute notre vie humaine et naturelle; ils sont les ressorts de toute notre activité libre et mentale, ils nous fournissent tous nos motifs naturels.

Par vocation spéciale et par grâce Dieu nous appelle à n’aimer que lui comme il le montre bien par son premier commandement qui mobilise absolument toutes les forces possibles d’aimer pour les faire converger entièrement sur Dieu seul, comme nous le ferons au ciel dans la gloire. Le plan de la gloire de Dieu exige que nous commencions librement sur terre ce que nous ferons dans la gloire céleste. Là il est bien sûr que tout notre amour ira à Dieu seul. Nous voilà donc dans le monde de l’amour divin autrement exigeant que le monde humain ou naturel.

D’après l’Écriture cette vocation surnaturelle est un vrai contrat de mariage passé entre l’homme et Dieu. 2 Cor. 11-2: "Je vous aime pour Dieu d’un amour de jalousie; je vous ai fiancés à cet unique Époux J-C. pour vous présenter à lui comme une vierge pure."

Dans l’Ancien Testament combien de fois Dieu prend l’exemple du mariage comme exemple de son alliance avec son peuple. Quand les Juifs donnaient leur amour à des créatures, en adorant les idoles, Dieu les traitait par ses prophètes d’adultères, de prostitués et de fornicateurs. C’est l’idolâtrie qu’il appelle de ce nom. Quand on connaît ce point cela purifie pas mal l’Ancien Testament, car les ignorants sont scandalisés en prenant ces mots dans leur sens propre. Au Paral. 5-25. il est dit en toutes lettres: "Ils se prostituèrent en servant les dieux des peuples." donc leurs idoles.

Selon cette idée donnons un exemple pour montrer combien les motifs naturels insultent Dieu. Supposons que Baptiste, marié à Berthe, va voir Marguerite, son ancienne amie. Berthe lui demande pourquoi il va là. Supposons que Baptiste lui dise: c’est parce que je l’aime. Berthe va être choquée et la chicane va commencer là. Supposons encore que Baptiste prend tous ses motifs chez Marguerite son ancienne amie. Il dit à Berthe: "Habille-toi donc en bleu. — Pourquoi? — Parce que Marguerite aime le bleu. Allons à tel théâtre — Pour quoi? — Parce que Marguerite aime ce théâtre… etc…" On voit tout de suite la conclusion que Berthe va tirer: "Baptiste aime Marguerite encore plus qu’elle."

Mais si Baptiste a des raisons d’utilité ou de nécessité d’aller voir Marguerite, ou de lui parler, Berthe ne dira rien à moins qu’elle ne s’aperçoive que Baptiste multiplie ses raisons à dessein pour aller voir Marguerite. Donc tout motif de Baptiste qui vient de son ancienne amie est de nature à froisser Berthe en proportion que ce motif montre de l’amour pour Marguerite.

Eh bien! voilà exactement notre cas devant Dieu. Au début de notre vie nous aimons le monde et les choses créées. Avec l’instruction religieuse nous découvrons le créateur infiniment meilleur que le monde. Un jour nous le choisissons pour l’objet de notre amour. L’amour de Dieu qui donne le ciel est un amour de préférence sur les choses créées. Nous voilà donc mariés avec Dieu. Il faut donc dire adieu à notre ancienne amie: toute la création sensible et terrestre. Nous devons lui retirer toute notre affection pour le concentrer sur Dieu uniquement selon le premier commandement.

Comme nos deux amours naturels sont les pires ennemis de Dieu dans notre cœur, il ne donnera pas son amour tant qu’on ne les chassera pas de notre cœur. On voit tout de suite que tous les motifs qui viennent de ces deux amours sont choquants pour Dieu comme tous les motifs que Baptiste va chercher chez Marguerite, son ancienne amie, sont choquants pour Berthe, sa femme. Comme l’amour de Dieu est contraire à l’amour du créé sensible, ainsi les motifs naturels sont contraires aux surnaturels. Donc, si l’on veut plaire à Dieu il faut absolument se défaire des motifs naturels quelque bons qu’ils soient en soi.

Le diable est bien fin! Parce qu’on peut offrir au bon Dieu des plaisirs utiles et nécessaires, nos philosophes poussent cela partout. Jouissez tant que vous voudrez, mais ayez un motif surnaturel: dites que c’est pour le bon Dieu et tout est en règle avec Dieu!

 

C’est de l’hypocrisie toute pure! Ce n’est pas vrai qu’il suffit d’offrir tous les plaisirs pour qu’ils soient agréables à Dieu. Quand c’est utile ou nécessaire, très bien, c’est possible. Est-ce qu’il suffirait à Baptiste d’avertir Berthe qu’il s’en va veiller avec Marguerite, qu’il s’en va au théâtre avec elle, qu’il s’en va danser avec, etc. Il faut être fou pour le croire. Les Saints disent qu’on ne peut pas offrir à Dieu un plaisir pour lequel on a une attache. Il faut que l’offrande suive l’amour du cœur, pas seulement les lèvres.

Jésus dit que la bouche parle de l’abondance du cœur. Eh bien! quand un homme parle constamment des plaisirs de toutes sortes, il est évident que son cœur est là, et c’est cet amour qui lui fournit ses motifs même quand il dit le contraire des lèvres. Des philosophes ne feront jamais mentir le critère que Jésus nous a donné de l’amour: les conversations.

Quelqu’un qui parle constamment de sport et qui dit qu’il va voir une partie pour l’amour de Dieu ment dans son cœur. C’est son amour naturel qui lui fournit ses motifs bien naturels comme son amour. N’oublions pas que la nature des motifs se tire des amours qui les fournissent.

Conséquences.

Les motifs naturels conduisent au péché. Dans le sermon sur la montagne Jésus attribue la chute de la maison uniquement au sable. Le sentiment général des Pères de l’Église est que le sable est le naturel et le roc le surnaturel de la foi. Plus un chrétien met du naturel dans sa vie, plus il commettra de péchés. Comme les motifs naturels nous viennent de nos deux amours naturels, les tentations aussi viennent de là. Celui qui contente son amour par des motifs naturels le contentera bien aussi dans les excès qui sont péchés.

Suivons donc l’enseignement de Jésus pour ne pas tomber dans le péché: bâtir sur le roc de la foi ou du surnaturel. C’est le Maître qui le dit!

Si Baptiste va voir Marguerite pour l’amour de Marguerite, il choque Berthe qui va lui soustraire de son amour tandis que Marguerite va lui en donner de plus en plus de sorte que ses liens s’affaiblissent du côté de sa femme et se fortifient du côté de son ancienne amie. Baptiste s’en va à sa ruine morale.

Il en est ainsi pour les chrétiens qui agissent pour des motifs naturels: chaque fois, ils perdent des grâces de Dieu et fortifient leurs liens pour les choses créées. Dans une grande tentation ces chrétiens tomberont dans le péché.

La doctrine des actes imparfaits dont on parle si peu explique cette diminution de la grâce de Dieu. Voici un homme qui ne prend qu’un biscuit pour son repas: si je l’aime je vais le disputer de nuire à sa santé. Il peut me répondre qu’il mange à chaque repas. C’est vrai mais il ne mange pas assez pour soutenir sa vie; il va finir par dépérir et mourir.

Il en est ainsi dans la vie spirituelle. Un homme fume une cigarette pour un motif naturel et puis une autre et ainsi de suite. Que d’autres choses il va faire aussi pour des motifs naturels s’il ne les craint pas dans le fumage. Eh bien! cet homme se prive de grâces dans toutes ses actions et quand les grandes tentations viendront il n’aura pas la force de résister.

De même on peut refroidir de l’eau bouillante en y ajoutant de l’eau chaude mais à un degré inférieur de chaleur. Quand même des motifs naturels seraient bons en soi ils ne sont pas faits du tout pour alimenter la chaleur spirituelle de l’âme, par conséquent ils la diminuent constamment, exactement comme tout ce que fait Baptiste pour son ancienne amie refroidit l’amour de Berthe pour lui et réciproquement.

Ils insultent Dieu. C’est pratiquement évident puisqu’ils viennent d’un amour qui lui est contraire comme nous l’avons montré par les considérations précédentes. La preuve sera encore dans le fait.

Ils attirent des épreuves de Dieu, qui punit ainsi leurs motifs naturels. On peut donner plusieurs exemples dans la Bible. 2 Par. 16-7: "En ce temps-là Ananie le voyant vint auprès d’Asa, roi de Juda, et lui dit: "Parce que tu t’es appuyé sur le roi de Syrie et non sur Dieu, l’armée de Syrie s’est échappée de tes mains. Les Éthiopiens et les Libyens ne formaient-ils pas une grande armée avec des chars et des cavaliers très nombreux, cependant, parce que tu t’étais appuyé sur Yahweh, il les a livrés entre tes mains."

On a la même idée en Is. 31: "Malheur à ceux qui descendent en Égypte chercher du secours… et ne recherchent pas Yahweh…"

Voici quelqu’un attaché à son office et qui agit pour des motifs naturels: Dieu va mettre dans l’idée des supérieurs de le changer afin qu’il cesse d’agir pour des motifs naturels. Que de séparations entre ceux qui s’aiment parce qu’ils agissent entre eux pour des motifs naturels!…

Les Saints savaient que toutes les contrariétés leur venaient pour détruire en eux ces motifs naturels. Tous ceux qui se plaignent dans les changements de toutes sortes montrent bien qu’ils aiment naturellement leur place et qu’ils agissaient pour des motifs naturels. Dieu qui ne veut pas de ces motifs les enlève de ce qu’ils aimaient afin qu’ils apprennent à n’agir que pour Dieu partout et toujours.

On peut voir ceux qui agissent pour des motifs surnaturels, ce sont ceux qui ne se plaignent pas du tout et qui sont contents d’aller n’importe où l’obéissance les envoie. Ils montrent bien que c’est la volonté de Dieu qui les mène et donc qu’ils agissent uniquement au moins en général pour des motifs surnaturels.

Cela devrait suffire pour montrer l’opposition radicale entre ces deux sortes de motifs et que par conséquent tout chrétien doit faire une guerre à mort à tout motif naturel quelque bon qu’il soit en lui-même.

Un motif surnaturel est-il nécessaire en plus de l’état de grâce?

Ami du Clergé, 1922, p. 394.

Une école théologique, qui se réclame d’illustres représentants, enseigne l’affirmative et ne regarde comme pleinement surnaturel que l’acte humain qui procède à la fois des deux sources d’élévation: Grâce sanctifiante et motif surnaturel.

Une autre école, où se comptent aussi des Docteurs célèbres s’en tient, au contraire, à la seule surnaturalisation subjective per gratiam, qu’elle estime suffisante comme condition de la valeur méritoire de nos œuvres. Elle convient qu’il est sans doute plus parfait d’agir toujours ex motivo fidei, mais ce n’est pas nécessaire.

Qui est dans le vrai? Nous n’avons pas à en décider. Bons arguments, bonnes autorités pour ou contre. Les deux doctrines sont probables.

Conclusion: Théologiquement, évitons d’imposer au commun des bons fidèles, comme obligatoires, des fardeaux qui en réalité ne le sont pas. La voie du ciel n’est pas déjà si large que nous puissions nous permettre, nous prêtres, de la rétrécir encore davantage.

Ascétiquement, c’est autre chose… c’est à la fois prudence et charité bien entendue "in seipsum" que d’augmenter le plus possible nos mérites afin d’être mieux assurés d’obtenir largement celles-là (nos récompenses). Tous les auteurs qui limitent comme nous l’avons fait, les obligations dans la matière de surnaturaliser et de rendre méritoires les détails de la vie chrétienne, ont soin d’ajouter qu’il importe, dans leur intérêt, d'exhorter les fidèles à faire plus que ne réclame le "droit strict" de la théologie dogmatique. À la condition de bien entendre que nous sommes là sur un terrain de facultatif et de perfection, du bene esse, et non plus du simpliciter esse, il n’y a point d’inconvénient, au contraire, à forcer la note ascétique, à demander qu’on mette le plus possible de motifs de foi, sans mélange et d’intentions actuelles in Deum dans les circonstances contingentes de notre vie humaine, dans les actes délibérés de notre volonté.


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