"Il est de la plus haute importance que l'âme s'exerce beaucoup à l'AMOUR, afin que, se consommant rapidement, elle ne s'arrête guère ici-bas, mais arrive promptement à voir son Dieu face à face." (S. Jean de la Croix)

MES RETRAITES

Avis aux lecteurs...

Première Série des Retraites

du Père Onésime LACOUTURE, s.j.

Doctrine surnaturelle

pour se défaire de toute mentalité païenne.


Première instruction

Doctrine Surnaturelle


"Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce lui-même, qu’il prenne sa croix tous les jours et qu’il me suive." Luc, 9-23.

"Exercices spirituels pour se vaincre et pour ordonner sa vie sans se déterminer par aucune affection déréglée." Titre des Exercices de St Ignace.

Plan

Le surnaturel est…

Notre destinée surnaturelle…

Ces deux activités sont…

Le surnaturel est…

Une science pour l’intelligence. Dieu a tout fait avec nombre, poids et mesure dans le monde surnaturel comme dans le monde naturel. Il suit des lois que sa sagesse a établies pour nous faire mériter son bonheur divin, il est même plus exigeant là que dans l’ordre naturel. Un fermier qui ne suit pas les lois de l’agriculture ne moissonne rien ou peu. Il en est ainsi pour la santé du corps, celui qui mangerait de l’herbe ou du sable pour s’en nourrir serait malade. Ainsi, ceux qui se lamentent, disputent ou tombent dans le péché, sont des chrétiens qui ne suivent pas les lois de l’ordre surnaturel, car c’est en elles que Dieu a placé le bonheur de l’homme non seulement au ciel, mais même sur la terre. Nous allons exposer une foule de ces lois divines dans nos instructions, mais d’une façon pratique. Une retraite n’est pas une classe de théologie; ne vous attendez pas à des précisions techniques ni à de savantes analyses des vérités révélées, encore moins à la seule théologie spéculative qui n’est que la philosophie de la religion. Quand vous vous assoyez à table ce n’est pas pour faire des analyses chimiques des mets qu’on vous sert, mais pour les manger, laissant à l’estomac le soin de faire le partage des aliments.

Par conséquent que chacun laisse de côté ses savantes distinctions avec ses "in se", ses "strictement parlant" et ses "essentiellement parlant". II s’agit pendant la retraite de s’appliquer les vérités de la foi pour les vivre tout de suite dans le concret de la vie. Plus tard vous discuterez, vous analyserez, vous distinguerez ce que vous voudrez. Maintenant: mangez! prenez et goûtez la doctrine de N.S. qu’il a pris la peine de venir nous apporter sur la terre. Servez-vous surtout de la foi avec une bonne dose d’humilité et de l’amour de Dieu; elle peut faire des merveilles pour vous faire comprendre le monde divin que nous allons scruter pendant ces jours de retraite. Priez beaucoup le St Esprit et la Ste Vierge.

Un amour pour la volonté. Le surnaturel est une participation à la vie de Dieu qui est charité. Or l’amour exige de l’amour pour se donner. Jésus dit: "Celui qui m’aime sera aimé de mon Père et je l’aimerai aussi et je me manifesterai moi-même à lui." J. 14-21. Saint Paul écrit aux Éphésiens 1: "Que Dieu éclaire les yeux de votre cœur afin que vous sachiez quelle est l’espérance à laquelle il vous a appelés." II faut se livrer à Dieu totalement avec grande confiance pour qu’il se donne à vous en retour. La Sagesse dit, 3-9: "Ceux qui ont mis leur confiance en lui auront l’intelligence de la vérité".

Commencez donc votre retraite avec un grand désir de pénétrer davantage dans l’activité Trinitaire pour vous unir plus intimement à Dieu. Plus vous y mettrez d’amour et plus vous comprendrez les voies divines. Personne ne révèle son cœur à un étranger. Dieu ne le fera pas plus pour ceux qui restent loin de lui. Excitez donc votre amour le plus possible envers Notre Seigneur. Ce n’est pas l’esprit qu’il demande, mais le cœur.

N’oublions pas qu’il nous avertit que sans lui nous ne pouvons rien. C’est nous inviter clairement à lui exposer nos besoins et nos désirs afin qu’il les exauce. Que la prière soit donc continuelle dans le fond du cœur et allez souvent devant le tabernacle le supplier de vous admettre dans son intimité divine, source de tout bonheur en ce monde et en l'autre.

Une vie pour l’homme, car notre destinée surnaturelle consiste dans une participation à la vie intime des trois Personnes divines. II ne s’agit pas simplement de méditer sur les vérités de la foi, il s’agit d’apprendre à les vivre tout de suite dans la foi et par la grâce de Dieu comme au ciel dans la gloire. Ce n’est qu’en proportion qu’on les pratique que le St Esprit en donne le goût divin. On jouit d’un mets quand on le mange. Qu’on commence donc tout de suite à vivre la doctrine de chaque instruction et alors on l’aimera.

Voici un signe pratique pour distinguer ceux qui écoutent les instructions en philosophes ou en théologiens. Ceux qui ne se servent que de l’esprit veulent du nouveau tout le temps où ils s’ennuient dans les répétitions. Ceux qui cherchent la vérité du cœur et donc qui veulent l’aimer ne sont pas ennuyés par les répétitions à moins qu’elles soient excessives. Ceux qui s’aiment ne sont jamais fatigués de s’entendre parler d’amour. II en est ainsi de ceux qui aiment les choses surnaturelles: les répétitions ne les ennuient pas.

Jésus compare la parole de Dieu au grain de blé tombé en terre: il doit rester là pour être arrosé par la pluie et réchauffé par le soleil avant de pousser. C’est donc en proportion que les retraitants gardent dans leur cœur les pensées de la retraite pour les choyer et les réchauffer dans l’amour et que par leurs prières ils feront descendre du ciel la grâce, que ces idées germeront en fruits surnaturels de sainteté solide et abondante.

Notre destinée surnaturelle

Suppose une destinée naturelle, au moins dans les idées. Pour comprendre ce qu’est une destinée surnaturelle il faut la comparer à une destinée qui ne l’est pas. Dieu n’était pas obligé de nous appeler à son bonheur; par conséquent, il aurait pu nous laisser avec notre destinée naturelle. Nous comprendrons donc son don gratuit en le comparant avec son don naturel, par nature. Je ne dis pas que nous avons une destinée naturelle, mais je vais en parler simplement pour faire comprendre la sublime élévation de notre destinée gratuite et surnaturelle qui est la seule que nous ayons maintenant de fait.

En théologie est-ce qu’on ne définit pas le surnaturel "ce qui est au-dessus du naturel et de toutes ses exigences". Il faut donc comparer notre destinée surnaturelle, ou le ciel, avec notre destinée naturelle, ou les Limbes. On ne peut pas faire comprendre le ciel en le comparant à l’enfer, comme tant de chrétiens le font. Les prêtres devraient mettre l’idée des Limbes entre celle du ciel et celle de l’enfer, ce qu’ils ne font jamais! La conséquence est que nos gens comparent le ciel à l’enfer: dès qu’on est pas dans le feu on est dans le ciel. Alors ils rabaissent le ciel au niveau des limbes. Toute leur vie surnaturelle est organisée selon cette fin qui n’est de fait que naturelle. Voilà ce qui explique la paresse spirituelle chez tant de chrétiens! Ils visent pour arriver juste au-dessus de l’enfer! Quelle confiance en tous, dès qu’ils ne sont pas de grands pécheurs, d’arriver au ciel! Du moment qu’ils suivent la loi naturelle ils n’ont aucune inquiétude pour leur salut éternel.

Si les prêtres expliquaient toute l’économie surnaturelle en fonction de l’activité naturelle et de la destinée naturelle, nos chrétiens auraient une bien plus grande idée du surnaturel et des exigences de Dieu dans ce monde divin. Il faut tout comparer au naturel et pas au péché ou à l’enfer. Le péché n’entre pas du tout dans le plan divin puisqu’il est arrivé malgré Dieu. Or en l’état d’innocence, comment faire comprendre le surnaturel sinon en le comparant avec le bon naturel et la destinée naturelle. C’est encore ce que nous devons faire. En mettant les limbes entre l’enfer et le ciel dans les idées, elles montrent tout de suite que le ciel dépasse toutes les exigences de notre nature humaine et que pour arriver là il ne suffit pas d’une bonté naturelle, mais divine!

Insistons donc pour que les fidèles comprennent qu’un chrétien est un homme surnaturel infiniment au-dessus de l’homme naturel quelque bon qu’il puisse être, que la grâce est infiniment au-dessus de l’activité naturelle de l’homme et que le ciel est infiniment au-dessus du bonheur naturel des Limbes. Alignons nos trois termes de comparaison…

Le chrétien avec la grâce arrive au ciel.

L’homme avec le naturel arrive aux limbes.

Le démon avec le péché aboutit à l’enfer.

Par nature l’homme suit la deuxième ligne et selon sa destinée naturelle il n’aurait qu’à éviter la troisième ligne pour aboutir aux Limbes. Donc si l’homme n’avait pas de destinée surnaturelle, il évoluerait normalement entre la deuxième ligne pour y adhérer et la troisième pour s’en éloigner.

Par grâce l’homme a été élevé à la première ligne. Dieu ne veut plus qu’il suive la deuxième sous peine de ne pas entrer au ciel. Le chrétien doit donc maintenant évoluer entre la deuxième ligne pour s’en éloigner et la première pour s’en approcher le plus possible.

Eh bien! voici une erreur de tactique des prêtres qui fait un tort immense dans le monde chrétien. Ils ont pratiquement supprimé la deuxième ligne. Parce que de fait un chrétien n’ira pas aux Limbes, ils ont cessé d’en parler pour lui faire comprendre la surnaturalité du ciel. Alors pour la masse des hommes, on va au ciel si on ne va pas en enfer! Du moment qu’on est en dehors du feu c’est le ciel! Ils se forment donc une idée purement négative du bonheur du ciel qui n’influence guère leur vie spirituelle.

Comme les prêtres suppriment l’idée des Limbes, les chrétiens rabaissent l’idée du ciel à celle des Limbes pratiquement; pour eux, le ciel est un endroit où tous leurs désirs terrestres seront satisfaits et où ils ne souffriront rien.

Une fois l’idée des Limbes supprimée, le reste de la deuxième ligne disparaît aussi. Même pour la masse des prêtres, il n’y a plus d’activité naturelle dans le chrétien, tout est divin ou péché, ce qui est une erreur théologique épouvantable et répandue dans la masse des prêtres du monde entier.

Une fois baptisé tout le travail du chrétien consiste à surnaturaliser son activité mentale, qui ne l’est pas automatiquement par la grâce sanctifiante, comme tant de prêtres le pensent. Or ceux qui suppriment cette activité naturelle mentale comme ils ont fait pour l’idée des Limbes, ne laissent plus rien à faire aux chrétiens que de surveiller la grâce sanctifiante seule. C’est aussi sot que de surveiller sa vie naturelle seule et de ne rien faire pour l’alimenter.

Enfin le premier terme de la deuxième ligne disparaît aussi dans l’idée de ces mêmes ignorants. L’homme naturel n’existe plus; il est ou bien enfant de Dieu ou démon. Le résultat est que ceux qui n’ont pas conscience d’être méchants comme des démons, se croient assez divins pour aller au ciel, exactement comme ils auraient conscience de mériter les Limbes s’ils étaient dans l’ordre naturel pur. Voilà ce qui explique l’insouciance de tant de chrétiens pour le ciel; ce sont les prêtres eux-mêmes qui en sont responsables, parce qu’ils ont supprimé la deuxième ligne qui est absolument nécessaire pour donner une vraie idée de Dieu, de la grâce et du ciel. Nous verrons mieux tout cela dans le détail à mesure que nous progresserons dans la retraite.

Laisse deux activités en nous. La grâce sanctifiante divinise l’homme dans son être substantiel, physique, et fait de l’homme un enfant de Dieu réellement; mais comme elle ne tombe pas sous l’expérience humaine, l’homme est porté à agir comme s’il ne l’avait pas. Il va suivre ses tendances naturelles, satisfaire ses goûts naturels comme un vrai païen, à moins qu’on lui enseigne à cesser de suivre ses tendances pour suivre les exigences de la foi qui lui impose une toute autre vie. Par exemple, un enfant reçoit bien la nature de ses parents, mais s’ils ne lui aident pas à développer son intelligence et sa volonté, il va agir comme un véritable animal. De même pour le baptisé, il a bien reçu une participation à la vie divine, mais si on ne lui enseigne pas à agir en enfant de Dieu, il va continuer à agir comme un païen. C’est sûrement le cas de la plupart des chrétiens.

Voici un exemple. Un religieux qui fait le vœu de chasteté renonce librement au mariage pour lequel il était fait naturellement. Pour lui ce terme n’existe plus. Cependant Dieu laisse subsister en lui toutes les tendances au mariage évidemment pour augmenter son mérite dans l’acte d’amour de Dieu qu’il fait par ce vœu. Cet homme devra des milliers de fois résister à l’attrait du mariage, à la pensée du mariage; cette idée va le suivre toute sa vie plus ou moins selon le degré de vertu que Dieu veut lui donner. Les pères spirituels devront enseigner à ce religieux comment lutter contre les tentations de la chair pour les vaincre.

Eh bien! même si les limbes sont supprimées pour un baptisé, les prêtres devraient enseigner constamment à lutter contre son activité naturelle mentale qui reste en lui toute sa vie plus ou moins et contre laquelle il devra lutter jusqu’à sa mort. Notre destinée surnaturelle laisse donc dans le chrétien deux activités: l’une surnaturelle et l’autre naturelle, l’une vivant aux dépens de l’autre.

C’est contre la divinisation de cette activité naturelle mentale, qui reste toujours plus ou moins dans tout chrétien, que tous les démons se sont ligués pour y mettre le plus d’obstacles possible. Que de sophismes, que de demi-vérités, que de principes louches ils inspirent aux prêtres pour les empêcher de travailler à cette divinisation de l’orientation de l’activité mentale des chrétiens! Nous les signalerons au cours de la retraite, toute orientée à cette guerre au paganisme de l’esprit chez les chrétiens.

Exige notre divinisation totale. Dieu veut des enfants pour être loué, révéré et servi, par conséquent il veut qu’ils agissent véritablement en enfants de Dieu. Or St Paul dit que ceux-là sont les enfants de Dieu qui sont conduits par l’Esprit de Dieu. Les chrétiens par conséquent ne doivent pas seulement avoir la grâce sanctifiante, mais ils doivent agir dans toutes leurs facultés libres surnaturellement comme des enfants de Dieu. Si un chrétien est divinisé en un instant, quand il est baptisé, dans tout son être physique, pour diviniser en plus son activité libre mentale, il va lui falloir y travailler toute sa vie.

La grande partie de ce travail est indiqué dans le sermon sur la montagne qui s’adresse sûrement aux chrétiens en état de grâce comme à ceux qui ne le sont pas. De plus Jésus indique ce travail à ceux qui ont la grâce sanctifiante quand il dit: "Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce tous les jours, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive." Tous les jours de sa vie!…il devra diviniser son activité naturelle qui reste en lui. Ces grandes lignes suffisent pour le moment; cette idée reviendra constamment durant la retraite puisque c’est le travail essentiel de tout chrétien.

Ces deux activités sont…

Dans l’orientation mentale des intentions ou des motifs. Les démons ont tout fait pour voiler cette question, pour la faire négliger par les prêtres. Le philosophisme leur a servi admirablement pour ce résultat. Comme la seule théologie spéculative considère les choses surtout "en soi", elle s’occupe surtout des actes "en soi". L’orientation intentionnelle des actes ne les intéresse pas. Voilà pourquoi la question des motifs n’a pas d’importance pour la plupart des prêtres.

De plus dans l’ordre naturel, les motifs n’auraient pas grande importance: du moment que les actes seraient bons, ils conduiraient les hommes aux Limbes dans cet ordre naturel. Voilà pourquoi les démons font tout au monde pour toujours ramener les prêtres dans l’ordre naturel ou dans l’ordre surnaturel "in se" où les motifs sont encore bien secondaires.

Le champ d’opération d’un chrétien doit être seulement celui des actions indifférentes ou bonnes en soi. Or là, qu’est-ce qui compte devant Dieu? C’est surtout le motif. Ainsi dans le sermon sur la montagne Jésus enseigne que nos bonnes actions seront récompensées selon nos motifs. Si nos motifs sont surnaturels, Dieu nous récompense; si nos motifs sont naturels il ne donne rien. Saluer un ami parce qu’on l’aime n’est pas péché et cependant Jésus dit qu’on n’aura pas de récompense si on le salue pour ce motif. Il faut le saluer pour l’amour de Dieu d’une façon ou d’une autre, pour avoir une récompense de Dieu. Tout ce sermon traite uniquement des motifs, c’est pour cela que nos philosophes formés aux "in se" ne l’exploitent pas du tout. Où est le prêtre qui donne la doctrine du sermon sur la montagne? Comme ils sont rares!!!…

Notre bonheur au ciel ne consistera pas simplement à rester immobiles devant Dieu, mais dans l’activité de nos facultés libres pour le connaître, le louer et le servir. Eh bien! il nous faut commencer cette vie divine mentale tout de suite dans la foi et par la grâce…et la grâce sanctifiante ne fait pas cela toute seule, pas plus que la nature humaine des enfants contente les parents; ils veulent être connus, aimés et servis par leurs enfants et c’est là le rôle principal des enfants. C’est la même nécessité dans l’ordre surnaturel. C’est la divinisation de notre activité mentale libre restée naturelle même en état de grâce à moins qu’on la divinise par l’orientation surnaturelle des motifs ou des intentions.

Essentiellement distinctes. Comme le plan divin pour ses enfants durant toute leur vie est de leur faire rejeter leurs motifs naturels pour prendre uniquement des motifs surnaturels, les démons ont travaillé énormément pour faire oublier leur distinction essentielle afin que les prêtres les mettent sur le même pied en pratique et les confondent assez pour essayer de les faire servir tous les deux au salut de l’homme. Leur philosophisme les aide là aussi: en soi, un motif naturel est bon, pourquoi attaquer une bonne chose? Il y a bien assez de mal à attaquer… Aussi la plupart des prêtres s’arrangent très bien avec des motifs naturels et ne les attaquent jamais en général. Il est donc important de montrer que même les bons motifs naturels sont essentiellement distincts des motifs surnaturels.


1- L’analyse de leurs concepts indique cette distinction. L’idée de surnaturel veut dire ce qui est au-dessus du naturel; ce n’est donc pas la même chose. L’un est du monde divin et l’autre du monde humain; ils sont donc distincts.

2- Le concile plénier de Québec, dans son premier décret, dit qu’il faut sauvegarder la distinction essentielle entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel sous peine d’arracher la racine du christianisme et de causer la plupart des erreurs modernes. Cela est vrai aussi pour les motifs qui appartiennent à ces deux ordres respectivement.

3- Preuves d’autorité. Pour exprimer notre passage du naturel au surnaturel Jésus et les Apôtres emploient des termes qui comportent cette distinction essentielle. C’est comme passer de la vie à la mort, des ténèbres à la lumière et d’un monde à l’autre. J. 3-3: Jésus dit à Nicodème: "En vérité, je vous le dis, que nul s’il ne renaît de nouveau, ne peut voir le royaume de Dieu". C’est donc comme une nouvelle création.

J. 5-24: "En vérité, je vous le dis, qui entend ma parole et qui croit à celui qui m’a envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement mais il passe de la mort à la vie."

J. 12-48: "Je suis venu dans le monde, moi la lumière, afin que tous ceux qui croient en moi, ne restent pas dans les ténèbres."

Le surnaturel dépasse donc tout naturel essentiellement. Il faut absolument que tous les chrétiens et surtout les prêtres soient bien convaincus de cette distinction essentielle entre ces deux ordres afin de ne les jamais mettre sur le même plan d’appréciation ou de n’y voir qu’une différence de nuance entre les deux.

Comme le dit le Concile de Québec, la racine du christianisme est justement là. Car il s’agit pour Dieu de nous élever au-dessus de notre nature humaine pour nous faire des êtres divins dans toute la force du mot et cela non seulement physiquement, mais mentalement par les motifs ou les intentions. Donc un motif surnaturel est essentiellement distinct d’un motif naturel et le dépasse infiniment.

Opposées entre elles dans la mentalité, ou dans leur orientation intentionnelle. Dans tous les chrétiens même en état de grâce, il reste une partie de leur activité qui n’est pas divinisé et c’est évidemment celle où il y a de la liberté et donc dans les intentions ou dans les motifs. J-C., les Apôtres et les Saints nous exhortent tous, les meilleurs comme les autres, à nous débarrasser non seulement du péché, mais aussi d’une activité bonne en soi, qui n’est pas surnaturelle, mais simplement naturelle.

"Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il se renonce lui-même". Il a demandé ce renoncement à nos premiers parents quand ils étaient encore innocents. Il l’avait demandé avant cela aux anges. La personnalité morale de l’homme n’est pas péché et c’est à cela que Dieu nous demande de renoncer. C’est ainsi que les Apôtres l’ont compris.

St Paul, aux Eph. 4-29, écrit: "Dépouillez-vous du vieil homme selon lequel vous avez vécu autrefois… renouvelez-vous dans l’intérieur de votre âme et revêtez-vous de l’homme nouveau qui est créé à la ressemblance de Dieu dans une justice et une sainteté véritables… soyez donc des imitateurs de Dieu comme étant ses enfants bien-aimés et marchez dans l’amour de la charité, ainsi que J-C. nous a aimés et s’est livré pour nous…" Nous ferons tout cela si nous voulons; c’est donc dans notre activité libre et mentale des motifs.

Col. 3: "Si vous êtes ressuscités avec J-C. recherchez les choses du ciel où J-C. est assis à la droite de son Père; n’ayez de goût que pour les choses du ciel et non pour celles de la terre." Ce goût des choses de la terre n’est sûrement pas toujours péché et pourtant l’Apôtre veut qu’on s’en débarrasse pour prendre le goût des choses du ciel.

Les Saints ont enseigné, quand ils écrivent de ces choses, à ne rien faire pour contenter la nature. St Ignace résume sa doctrine dans son "agere contra", agir contre la nature. L’Imitation de Jésus-Christ en est remplie. L’auteur résume bien sa doctrine dans le 54ème chapitre du 3ème livre: Mon fils, observez avec soin les mouvements de la nature et de la grâce, car, quoique très opposés, la différence en est quelquefois si imperceptible, qu’à peine peut-elle être discernée sinon par un homme spirituel et très intérieur… La nature a du penchant pour les créatures, pour les satisfactions des sens, pour la vanité, pour les conversations. La grâce porte à Dieu et à la vertu, renonce aux créatures, fuit le monde, réprime les désirs de la chair, retranche les entretiens inutiles et rougit de paraître en public…"

Ces idées préliminaires sont utiles pour comprendre le titre des Exercices de St Ignace: se vaincre pour se débarrasser de toute affection déréglée. Tout le monde comprend le sens de ces mots, mais il y en a très peu, même parmi les prêtres, qui en comprennent toute la portée pratique et comment réaliser cela dans le concret de la vie.

Par exemple, tous savent, ce que veut dire une opération chirurgicale, mais quand il s’agit d’en faire une, comme il faut étudier longtemps et avoir de l’expérience pour faire ces opérations convenablement.

Il en est de même pour le renoncement; tous en ont une idée, mais très peu savent comment le pratiquer selon les voies de Dieu pour le plus grand bien de l’âme. C’est que les hommes sont de connivence avec les démons pour laisser le travail bien embrouillé de toutes sortes de façons comme nous allons le voir au cours de cette retraite.

C’est dans les intentions que se fait la lutte entre les bons et les mauvais anges, entre la grâce et la nature, entre Dieu et l’homme… et c’est la partie de la théologie la plus négligée dans tout le monde. Les manuels de théologie mentionnent à peine la question des motifs; les professeurs ne discutent jamais cette question en classe sinon simplement pour donner les conditions du mérite. C’est donc la question la plus ignorée des prêtres, la moins exploitée comme on peut voir par l’ignorance absolue des fidèles sur la différence entre les motifs naturels et surnaturels. Surtout ils n’ont jamais entendu parler de leur opposition radicale dans le travail du salut.

Nos chrétiens savent qu’il faut retrancher quelque chose parfois de leur vie, comme durant le carême mettre un dessert de côté, ne pas aller danser durant ce temps, etc.… Mais qui sait comment se vaincre soi-même comme les Saints l’entendent et comme Jésus surtout l’entend? Où sont les prêtres même qui le savent? Où sont ceux qui pourraient aller le prêcher, par exemple, dans une retraite à des religieuses cloîtrées qui sont supposées faire profession de renoncement sérieux?

En voici une idée. Dieu a crée l’homme à son image pas seulement par son âme, mais par l’activité de son âme. L’homme est un échantillon de Dieu. Par nature, c’est un petit dieu qui se croit le centre de l’univers et qui veut dominer sur tout le monde. Il est porté à dire son "Notre Père" pour lui-même! Que Mon nom soit en bénédiction partout! Que Mon règne arrive sur toutes les créatures! et que ma volonté se fasse partout! Donnez-moi tous les biens de l’univers, etc.…!

Voilà sa petite royauté où il prend tous ses motifs naturels pour sa satisfaction, sa louange et son service. Un motif naturel est donc un motif dirigé à ce petit dieu échantillon! Un motif surnaturel est un motif dirigé à Dieu au ciel.

Or comme Dieu nous veut pour participer à son activité trinitaire dans la vision béatifique, nous devons tout de suite prendre le point de vue de Dieu dans le ciel et agir en conséquence. Donc il nous faut réagir contre toute tendance naturelle de tout diriger vers nous et faire tout le contraire en dirigeant tous nos motifs uniquement sur Dieu au ciel. On voit tout de suite l’opposition absolue entre un motif naturel et un motif surnaturel non pas "in se", mais "in nobis" et par rapport à notre salut éternel.

Se vaincre donc, c’est abattre tous les jours quelque chose de notre petit dieu; c’est lui faire une guerre à mort tous les jours! Quand les Philistins mirent l’Arche d’Alliance devant leur dieu Dagon, ils trouvèrent le lendemain leur idole à terre devant l’Arche. Ils remirent leur idole en place et le lendemain Dagon était de nouveau à terre la tête séparée du corps et les deux mains aussi. Voilà ce que tout chrétien doit faire, sinon Dieu le fera sans mérite dans l’éternité et en enfer. Il doit d’abord sacrifier sa tête, ce qui veut dire son jugement et sa volonté, puis ses mains, ou son activité corporelle; donc tout son être doit s’abaisser réellement devant Dieu dans la foi et par la grâce.

Il faut arriver, avant de mourir réellement, à pouvoir dire comme St-Paul: "Ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus qui vit en moi." ou encore: "Vous êtes morts et votre vie est cachée en J-C., en Dieu." C’est donc plus que de se priver d’une cigarette ou d’un dessert de temps en temps! Pour l’expliquer convenablement il va falloir plusieurs instructions uniquement pour développer le titre des Exercices de St Ignace, que les Commentateurs ne font jamais dans le détail.


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