L'importance du sujet et les affaires pressantes
dont Nous étions accablé, Nous ont forcé,
nos chers Fils et nos Vénérables Frères,
de différer quelque temps notre réponse à
votre lettre du 10 octobre, signée d'un grand nombre de
vos illustres collègues. Cette lettre a renouvelé
dans notre cur une douleur profonde, qu'aucune consolation
ne pourra jamais adoucir, et dont Nous étions déjà
pénétré depuis le moment où la renommée
Nous avait appris que l'Assemblée nationale de France,
appelée pour régler les affaires civiles, en était
venue au point d'attaquer par ses décrets la religion catholique,
et que la majorité de ses membres réunissait ses
efforts pour faire une irruption jusque dans le sanctuaire.
Nous avions d'abord résolu de garder
le silence, dans la crainte d'irriter encore par la voix de la
vérité ces hommes inconsidérés, et
de les précipiter dans de plus grands excès. Notre
dessein était appuyé sur l'autorité de S.
Grégoire le Grand, qui dit, qu'il faut peser avec prudence
les circonstances critiques des révolutions, pour ne pas
laisser la langue se répandre en discours superflus, dans
les occasions où il faut la réprimer (Regul.
Pastor. Tom. II oper. edit. Maurin., pag. 54.)
. C'est à Dieu que nos paroles se sont adressées,
et Nous avons aussitôt ordonné des prières
publiques, pour obtenir de l'Esprit-Saint qu'il daignât
inspirer à ces nouveaux législateurs la ferme résolution
de s'éloigner des maximes de la philosophie du siècle,
et de s'attacher invariablement à ces principes salutaires
auxquels la religion les rappelle. En cela Nous avons suivi l'exemple
de Suzanne, qui, selon l'observation de S. Ambroise, fit plus
par son silence, qu'elle n'eût pu faire par ses paroles ;
elle se taisait devant les hommes, mais elle parlait à
Dieu : lors même qu'on n'entendait pas sa voix, sa
conscience était éloquente, elle ne cherchait pas
le jugement et l'opinion des hommes, parce qu'elle avait pour
elle le témoignage de Dieu (Lib.
I de Offic., cap. III, num. 9, tom. II oper. edit. Maurin., pag.
4).
Nous n'avons cependant pas négligé
d'assembler en Consistoire nos Vénérables Frères
les Cardinaux de la sainte Église Romaine, et les ayant
convoqués le 29 mars de l'année dernière,
Nous leur avons fait part des atteintes que la religion catholique
avait déjà reçues en France ; Nous avons
épanché notre douleur dans leur sein, les exhortant
à unir leurs larmes et leurs prières avec les nôtres.
Tandis que Nous Nous livrions à ces
soins, une nouvelle encore plus désolante est venue Nous
frapper ; Nous apprenons que l'Assemblée nationale,
c'est-à-dire la majorité (c'est toujours
dans ce sens que Nous Nous servirons de cette expression) Nous
apprenons que l'Assemblée nationale, vers le milieu du
mois de juillet, avait publié un décret qui, sous
prétexte de n'établir qu'une constitution civile
du clergé, ainsi que le titre semblait l'annoncer, renversait
en effet les dogmes les plus sacrés, et la discipline la
plus solennelle de l'Église, détruisait les droits
du premier Siège Apostolique, ceux des Évêques,
des Prêtres, des ordres religieux des deux sexes, et de
toute la communion catholique, abolissait les cérémonies
les plus saintes, s'emparait des domaines et des revenus ecclésiastiques,
et entraînait de telles calamités, qu'on aurait peine
à les croire si on ne les éprouvait. Nous n'avons
pu Nous empêcher de frémir à la lecture de
ce décret ; il a produit sur Nous la même impression
que fit autrefois sur un de nos plus illustres Prédécesseurs,
Grégoire le Grand, un certain écrit qu'un Évêque
de Constantinople lui avait envoyé pour le soumettre à
son examen : car à peine en eut-il parcouru les premières
pages, qu'il fit éclater l'horreur que lui inspirait le
venin renfermé dans cet ouvrage (Epist.
66, lib. VI, tom. II, pag. 242). Au
plus fort de notre douleur, vers la fin du mois d'août,
Nous avons reçu une lettre de notre très-cher Fils
en Jésus-Christ Louis XVI, roi très-chrétien,
dans laquelle il Nous presse, avec beaucoup d'instances, de confirmer
par notre autorité, du moins provisoirement, cinq articles
décrétés par l'Assemblée, et déjà
revêtus de la sanction royale. Quoique ces articles Nous
parussent contraires aux canons, cependant, par égard pour
le roi, Nous crûmes devoir user de ménagement dans
notre réponse ; Nous lui écrivîmes que
Nous soumettrions ces articles à une congrégation
de vingt Cardinaux, dont Nous Nous ferions remettre les opinions
par écrit, pour les examiner Nous-même à loisir,
et les peser avec toute la maturité qu'exige une affaire
aussi grave. Dans une autre lettre plus particulière, Nous
priâmes le roi lui-même d'engager tous les Évêques
de son royaume à lui faire connaître leurs sentiments
avec confiance, à Nous communiquer à Nous-même
le parti qu'ils seraient convenus de prendre, et à Nous
instruire de tout ce que la distance des lieux dérobait
à notre connaissance, pour que Nous n'eussions aucune fausse
démarche à Nous reprocher. Nous n'avons cependant
reçu jusqu'ici de votre part aucun renseignement sur la
conduite que Nous avons à tenir dans cette occasion ;
seulement des lettres pastorales, des discours, des mandements
imprimés de quelques Évêques, Nous sont tombés
entre les mains : Nous les avons trouvés pleins de
l'esprit évangélique ; mais ces écrits,
composés séparément et sans concert, par
chacun de leurs auteurs, ne Nous offraient point un plan général
de défense ; ils ne Nous indiquaient point les mesures
que vous jugiez les plus convenables dans une circonstance aussi
fâcheuse, et dans l'extrémité où vous
vous trouvez.
Il Nous est cependant parvenu une exposition
manuscrite de vos sentiments sur la constitution du clergé,
que Nous avons ensuite reçue imprimée, dont le préambule
présente un extrait de plusieurs décrets de l'Assemblée,
accompagnés de réflexions qui en font connaître
l'irrégularité et le venin. Presque dans le même
temps, on Nous a remis une nouvelle lettre du roi, par laquelle
il Nous demande notre approbation provisoire pour sept autres
décrets de l'Assemblée nationale, à peu près
conformes aux cinq qu'il Nous avait envoyés au mois d'août ;
il Nous fait part aussi du cruel embarras où le jette la
sanction qu'on le presse de donner au décret du 27 novembre,
décret qui ordonne aux Évêques, à leurs
Vicaires, aux Curés, Supérieurs de séminaires,
et autres fonctionnaires ecclésiastiques, de prêter,
en présence des municipalités, le serment de maintenir
la constitution, et, s'ils n'obéissent au terme prescrit,
leur inflige les peines les plus graves. Mais Nous avons répété
et confirmé ce que Nous avons déjà déclaré,
et ce que Nous déclarons encore, que Nous ne publierions
point notre jugement sur ces articles, avant que la majorité
des Évêques ne Nous eût clairement et distinctement
exposé ce qu'elle en pense elle-même.
Le roi nous demande, entre autres choses,
d'engager les Métropolitains et les Évêques
à souscrire à la division et à la suppression
des Églises métropolitaines et des évêchés ;
il Nous prie de consentir, du moins provisoirement, à ce
que les formes canoniques observées jusqu'ici par l'Église,
dans les érections de nouveaux évêchés,
soient employées maintenant par l'autorité des Métropolitains
et des Évêques ; qu'ils donnent l'institution
à ceux qui, d'après le nouveau mode d'élection,
leur seront présentés pour les cures vacantes, pourvu
que les murs et la doctrine des élus soient sans
reproche. Cette demande du roi prouve clairement qu'il reconnaît
lui-même la nécessité de consulter les Évêques
dans une pareille circonstance, et qu'en conséquence il
est juste que Nous ne décidions rien avant de les avoir
entendus. Nous attendons donc un exposé fidèle de
vos avis, de vos sentiments, de vos résolutions, signé
de tous, ou du plus grand nombre. Nos idées s'appuieront
sur ce monument comme sur une base solide ; il sera le guide
et la règle de nos délibérations ; il
Nous aidera à prononcer un jugement convenable, également
avantageux pour vous et pour tout le royaume de France. En attendant
que notre vu s'accomplisse, Nous trouvons dans vos lettres
des secours qui Nous facilitent l'examen de tous les articles
concernant la constitution du clergé.
D'abord, en jetant les yeux sur les actes
du Concile de Sens, assemblé en 1527 pour combattre l'hérésie
du Luther, Nous trouvons que le principe sur lequel cette constitution
est fondée, ne peut être exempt de la note d'hérésie ;
car c'est ainsi que s'exprime le Concile (In
collect. Labbe, tom. XIX, pag. 1154, edit. Venet. Coleti, qua
semper utemur) :
" A la suite de ces hommes ignorants,
s'est élevé Marsile de Padoue, dont le livre empoisonné,
intitulé le Boulevard de la Paix, a été
dernièrement imprimé par les soins des Luthériens,
pour le malheur du peuple fidèle. L'auteur y insulte l'Église
avec l'acharnement d'un ennemi ; il flatte avec impiété
les princes de la terre, enlève aux Prélats toute
juridiction extérieure, excepté celle que le magistrat
laïque aura bien voulu leur accorder. Il prétend,
outre cela, que tous ceux qui sont revêtus du sacerdoce,
tant les simples Prêtres que les Évêques, les
Archevêques, et même le Pape, ont, en vertu de l'institution
de Jésus-Christ, une égale autorité, et que
si quelqu'un a plus de puissance qu'un autre, c'est une pure concession
du prince, qu'il peut révoquer à son gré.
Mais l'abominable fureur de cet hérétique en délire
a été réprimée par les saintes Écritures,
qui déclarent que la puissance ecclésiastique est
indépendante de la puissance civile, qu'elle est fondée
sur le droit divin, qui l'autorise à établir des
lois, pour le salut des fidèles, et à punir les
rebelles par des censures légitimes. Les mêmes Écritures
enseignent que la puissance de l'Église est, par la fin
qu'elle se propose, d'un ordre supérieur à celui
de la puissance temporelle, et en cela plus digne de nos respects ;
tandis que ce Marsile, et les autres hérétiques
nommés ci-dessus, se déchaînent avec impiété
contre l'Église, et s'efforcent, comme à l'envi
l'un de l'autre de lui ravir quelque partie de son autorité."
Il faut encore vous rappeler ici un jugement
de Benoît XIV, d'heureuse mémoire, absolument conforme
à cette doctrine du Concile. Ce Pontife, écrivant
au Primat, aux Archevêques et Évêques de Pologne,
s'exprime ainsi dans sa Lettre du 5 mars 1752, sur un ouvrage
imprimé en polonais mais publié auparavant en français
sous ce titre : " Principes sur l'essence, la distinction
et les limites des deux puissances, spirituelle et temporelle,
ouvrage posthume du P. Laborde, de l'Oratoire, " dans
lequel l'auteur soumet le ministère ecclésiastique
à l'autorité temporelle, au point de soutenir que
c'est à celle-ci qu'il appartient de connaître et
de juger du gouvernement extérieur et sensible de l'Église :
" Cet impudent écrivain, dit Benoît XIV,
accumule d'artificieux sophismes, emploie, avec une perfidie hypocrite,
le langage de la piété et de la religion ;
donne la torture à plusieurs passages de l'Écriture
sainte et des Pères, pour reproduire et ressusciter un
système faux et dangereux, depuis longtemps réprouvé
par l'Église, expressément condamné comme
hérétique, et par cette ruse il en impose aux lecteurs
simples et crédules." En conséquence, ce Pontife
proscrivit l'ouvrage comme captieux, faux, impie et hérétique ;
il en défendit la lecture et l'usage à tous les
fidèles chrétiens, même à ceux qui,
par le droit, doivent être spécialement et individuellement
dénommés, sous peine d'excommunication encourue
par le seul fait, et dont l'absolution serait réservée
au Souverain Pontife excepté à l'article de la mort
(Bullar. Benedict. XIV, tom.
IV, Constitut. 44, edit. Rom.).
En effet, quelle juridiction les laïques
peuvent-ils avoir sur les choses spirituelles ? De quel droit
les ecclésiastiques seraient-ils soumis à leurs
décrets ? Il n'y a point de Catholique qui puisse
ignorer que Jésus-Christ, en instituant son Église,
a donné aux Apôtres et à leurs successeurs
une puissance indépendante de toute autre, que tous les
Pères de l'Église ont unanimement reconnue avec
Ozius et S. Athanase, lorsqu'ils disaient (S.
Athanas. in Histor. Arianor. ad Monachos, tom. I oper., pag. 371,
edit. Maurin.) : " Ne
vous mêlez point des affaires ecclésiastiques ;
ce n'est pas à vous à nous donner des préceptes
sur cet article : vous devez au contraire recevoir de nous
des leçons. Dieu vous a confié l'empire, mais il
a remis le gouvernement de l'Église entre nos mains ;
de même que celui qui voudrait vous ravir l'empire renverserait
l'ordre que Dieu a établi ; de même craignez
qu'en attirant à vous l'autorité spirituelle, vous
ne vous rendiez encore plus coupable." Voilà pourquoi
S. Chrysostome, voulant mettre cette vérité dans
un plus grand jour, cite l'exemple d'Oza (Commentar.
in cap. I Epist. ad Galat. Num. 6, tom. I, oper. edit. Maurin.,
pag. 668), qui " fut frappé
de mort pour avoir porte la main à l'arche, quoique avec
l'intention de s'opposer à sa chute, parce qu'il avait
usurpé un pouvoir qui ne lui appartenait pas. Mais si la
violation du sabbat, si le seul attouchement de l'arche prête
à tomber, ont pu exciter la colère de Dieu, et rendre
le coupable indigne de pardon, quelle excuse peut avoir, quelle
indulgence peut espérer celui qui ose altérer les
dogmes augustes et ineffables de notre foi ? Comment pourrait-il
se soustraire au châtiment ? Non, vous dis-je ;
non, cela n'est pas possible." Les saints Conciles tiennent
tous le même langage ; et tous les monarques français
ont reconnu et adopté cette doctrine jusqu'à Louis
XV, aïeul du roi régnant, lequel déclarait
solennellement, le 10 août 1731, qu'il reconnaissait " comme
son premier devoir d'empêcher qu'à l'occasion des
disputes, on ne mette en question les droits sacrés d'une
puissance qui a reçu de Dieu seul le droit de décider
les questions de doctrine sur la foi, ou sur la règle des
murs, de faire des canons ou des règles de discipline
pour la conduite des ministres de l'Église et des fidèles
dans l'ordre de la religion, d'établir ses ministres ou
de les destituer conformément aux mêmes règles
et de se faire obéir en imposant aux fidèles, suivant
l'ordre canonique, non-seulement des pénitences salutaires,
mais de véritables peines spirituelles, par les jugements
ou par les censures que les premiers Pasteurs ont droit de prononcer."
Et cependant, malgré des principes
si généralement reconnus dans l'Église, l'Assemblée
nationale s'est attribué la puissance spirituelle, lorsqu'elle
a fait tant de nouveaux règlements contraires au dogme
et à la discipline ; lorsqu'elle a voulu obliger les
Évêques et tous les Ecclésiastiques à
s'engager par serment à l'exécution de ces décrets.
Mais cette conduite n'étonnera pas ceux qui observeront
que l'effet nécessaire de la constitution décrétée
par l'Assemblée est d'anéantir la Religion catholique,
et avec elle l'obéissance due aux rois. C'est dans cette
vue qu'on établit, comme un droit de l'homme en société,
cette liberté absolue, qui non-seulement assure le droit
de n'être point inquiété sur ses opinions
religieuses, mais qui accorde encore cette licence de penser,
de dire, d'écrire et même de faire imprimer impunément
en matière de religion tout ce que peut suggérer
l'imagination la plus déréglée : droit
monstrueux, qui paraît cependant à l'Assemblée
résulter de l'égalité et de la liberté
naturelles à tous les hommes. Mais que pouvait-il y avoir
de plus insensé, que d'établir parmi les hommes
cette égalité et cette liberté effrénée
qui étouffe complètement la raison, le don le plus
précieux que la nature ait fait à l'homme, et le
seul qui le distingue des animaux. Dieu, après avoir créé
l'homme, après l'avoir établi dans un lieu de délices,
ne le menaça-t-il pas de la mort s'il mangeait du fruit
de l'arbre de la science du bien et du mal ? Et par cette
première défense ne mit-il pas des bornes à
sa liberté ? Lorsque dans la suite sa désobéissance
l'eut rendu coupable, ne lui imposa-t-il pas de nouvelles obligations
par l'organe de Moïse ? et quoiqu'il eût laissé
à son libre arbitre le pouvoir de se déterminer
pour le bien ou pour le mal, ne l'environna-t-il pas " de
préceptes et de commandements, qui pouvaient le sauver
s'il voulait les accomplir ? " (Ecclesiastic.
Cap. XV, vers. 15 et 16.)
Où est donc cette liberté de
penser et d'agir que l'Assemblée nationale accorde à
l'homme social comme un droit imprescriptible de la nature ?
Ce droit chimérique n'est-il pas contraire aux droits du
Créateur suprême, à qui nous devons l'existence
et tout ce que nous possédons ? Peut-on d'ailleurs
ignorer que l'homme n'a pas été créé
pour lui seul, mais pour être utile à ses semblables ?
car telle est la faiblesse de la nature, que les hommes, pour
se conserver, ont besoin du secours mutuel les uns des autres ;
et voilà pourquoi Dieu leur a donné la raison et
l'usage de la parole, pour les mettre en état de réclamer
l'assistance d'autrui, et de secourir à leur tour ceux
qui imploreraient leur appui. C'est donc la nature elle-même
qui a rapproché les hommes et les a réunis en société :
en outre, puisque l'usage que l'homme doit faire de sa raison
consiste essentiellement à reconnaître son souverain
Auteur, à l'honorer, à l'admirer, à lui rapporter
sa personne et tout son être ; puisque, dès
son enfance, il faut qu'il soit soumis à ceux qui ont sur
lui la supériorité de l'âge ; qu'il se
laisse gouverner et instruire par leurs leçons ; qu'il
apprenne d'eux à régler sa vie d'après les
lois de la raison, de la société et de la religion :
cette égalité, cette liberté si vantées,
ne sont donc pour lui, dès le moment de sa naissance, que
des chimères et des mots vides de sens. " Soyez
soumis par la nécessité, " dit l'apôtre
S. Paul (Apost. Epist. ad Roman.,
cap. XIII, vers. 5) : ainsi les
hommes n'ont pu se rassembler et former une association civile,
sans établir un gouvernement, sans restreindre cette liberté,
et sans l'assujettir aux lois et à l'autorité de
leurs chefs. " La société humaine, dit
S. Augustin, n'est autre chose qu'une " convention générale
d'obéir aux rois ; " (Lib.
III Confession., cap. VIII, tom. I, Oper. edit. Maurin., pag.
94) et ce n'est pas tant du contrat
social que de Dieu lui-même, auteur de tout bien et de toute
justice, que la puissance des rois tire sa force. " Que
chaque individu soit soumis aux puissances, dit le grand Apôtre
dans la même Épître : car toute puissance
vient de Dieu ; celles qui existent ont été
réglées par Dieu même : leur résister,
c'est troubler l'ordre que Dieu a établi ; et ceux
qui se rendent coupables de cette résistance, se dévouent
eux-mêmes à des châtiments éternels. "
(Apost. Epist. ad Roman., cap.
XIII, vers. 1 et 2.)
C'est ici le lieu de rapporter le canon du
second Concile de Tours, tenu en 567, qui frappe d'anathème,
non-seulement quiconque a la hardiesse de contrevenir aux décrets
du Siège Apostolique, mais encore " celui qui,
par une plus grande témérité, ose réfuter
et combattre de quelque manière que ce soit, une pensée
que l'apôtre S. Paul, ce vase d'élection, a publiée
d'après l'inspiration de l'Esprit-Saint, surtout, puisque
le Saint-Esprit lui-même a dit par l'organe de cet apôtre :
" Que celui qui prêchera le contraire de ce que
j'ai prêché, soit anathème. " (Canon
20, in collect. Labbe, tom. VI, pag. 54.)
Mais pour faire évanouir aux yeux de
la saine raison ce fantôme d'une liberté indéfinie,
ne suffit-il pas de dire que ce système fut celui des Vaudois
et des Beguars, condamnés par Clément V, avec l'approbation
du Concile cuménique de Vienne (Cap.
III in Clementin. tit. de hæreticis) :
que dans la suite les Vicleffites, et enfin Luther, se servirent
du même appât d'une liberté effrénée
pour accréditer leurs erreurs, disant : Nous sommes
affranchis de toute espèce de joug (Ut
refert auctor appendic. ad S. Thomam, prima secundæ, quæstion.
96, art. 5, edit. Neapol. 1763). Nous
devons cependant avertir qu'en parlant ici de l'obéissance
due aux puissances légitimes, notre intention n'est pas
d'attaquer les nouvelles lois civiles auxquelles le roi a pu donner
son consentement, comme n'ayant de rapport qu'au gouvernement
temporel dont il est chargé. Nous n'avons point pour but,
en rappelant ces maximes, de provoquer le rétablissement
du régime ancien de la France (*) : le supposer, serait
renouveler une calomnie qu'on n'a affecté jusqu'ici de
répandre que pour rendre la religion odieuse : nous
ne cherchons, vous et moi, nous ne travaillons qu'à préserver
de toute atteinte les droits sacrés de l'Église
et du Siège Apostolique. C'est dans cette vue que Nous
allons envisager ici la liberté sous un autre rapport,
et faire sentir la différence qui se trouve entre les peuples
étrangers à l'Église, tels que les infidèles
et les Juifs, et ceux que la régénération
du baptême a soumis à ses lois. Les premiers ne doivent
pas être assujettis à l'obéissance prescrite
aux Catholiques ; mais, pour les seconds, elle est un devoir.
S. Thomas d'Aquin (Secunda secundæ
quæst. 10, art. 8.) prouve cette
différence avec sa solidité ordinaire. Plusieurs
siècles auparavant, elle avait été établie
par Tertullien dans son ouvrage contre les Gnostiques (Cap.
II, n° 15), et Benoît
XIV l'a reconnue il y a quelques années dans son Traité
de la béatification et de la canonisation (Lib.
III, cap. XVII, n° 13) ;
mais personne n'a mieux développé ce raisonnement
que S. Augustin, dans deux célèbres épîtres
souvent imprimées, l'une à Vincent, évêque
de Cartenne (Epist. 93, t. II
oper., pag. 237, edit. Maurin.), l'autre
au comte Boniface (Epist. 185,
tom. eod., pag. 652), où il
réfute victorieusement les hérétiques tant
anciens que modernes. Cette égalité, cette liberté
si exaltées par l'Assemblée nationale, n'aboutissent
donc qu'à renverser la religion catholique, et voilà
pourquoi elle a refusé de la déclarer dominante
dans le royaume, quoique ce titre lui ait toujours appartenu.
* : Dans le Bref du 6 juillet 1791, adressé
au roi, tom. III, Appendix, pars II, n° 1, le
Pape dit : Imploramus tibi receptam a te pristinam potestatem...
juraque omnia restituta. Dans celui du 25 février 1792,
tom. III, Appendix, pars II, n° 2, il souhaite
le rétablissement de la royauté en France, Regnumque
illud (Galliæ) ad pristina jura revertatur. Enfin, dans
celui du 8 août 1792, tom. III, Appendix, pars II,
n° 4, il engage l'empereur d'Allemagne ut in suum
referat statum non minus Ecclesiam, quam regnum Galliæ.
Il faut concilier ces passages avec celui-ci : Nolumus
eo accipi sensu... ut omnia ad pristinum civilem statum redintegrentur.
Pour lever la contradiction apparente, il faut entendre que le
Pape ne veut point provoquer le rétablissement de l'ancien
régime accompagné de ses abus.
En avançant dans l'examen des erreurs
de l'Assemblée nationale, Nous rencontrons l'abolition
de la primauté et de la juridiction du Saint-Siège.
Un décret formel porte que " le nouvel Évêque
ne pourra s'adresser au Pape pour en obtenir aucune confirmation,
mais il lui écrira comme au chef visible de l'Église
universelle, en témoignage de l'unité de foi et
de la communion qu'il doit entretenir avec lui. " On
prescrit une nouvelle formule de serment, où le nom du
Pontife de Rome est supprimé. Bien plus, l'élu étant
obligé par son serment à l'exécution des
décrets nationaux qui lui défendent de faire confirmer
son élection par le Saint-Siège, toute la puissance
du Souverain Pontife est par là même anéantie,
et c'est ainsi que les ruisseaux sont détournés
de la source, les rameaux détachés de l'arbre, les
peuples séparés du Vicaire de Jésus-Christ.
Qu'il Nous soit permis d'emprunter ici, pour
déplorer les outrages faits à la dignité
et à l'autorité pontificale, les mêmes expressions
dont se servait autrefois saint Grégoire le Grand, pour
se plaindre à l'impératrice Constantine des prétentions
nouvelles et de l'orgueil du Patriarche Jean, qui s'attribuait
le titre d'Évêque universel, et pour la prier de
refuser son assentiment à cette usurpation (Epist.
21, lib. V, pag. 751, tom. II, oper. edit. Maurin.) :
" Que votre piété, " disait ce saint
Pontife, " ne dédaigne pas dans cette occasion
mes prières, et si Grégoire (Nous pourrions dire
en Nous appliquant les mêmes paroles, si Pie VI), par la
grandeur de ses péchés, a mérité de
souffrir cette injure, songez que l'apôtre saint Pierre
n'a point de péchés à expier, et qu'il n'a
pas mérité de recevoir sous votre gouvernement un
pareil outrage. Je vous supplie donc, et je vous conjure d'imiter
l'exemple des princes vos ancêtres, qui se sont toujours
efforcés de s'attirer la faveur de l'apôtre saint
Pierre ; tâchez aussi de vous la procurer, et de la
conserver ; mes péchés, et les faiblesses auxquelles
je suis indignement asservi, ne doivent pas être pour vous
un prétexte de porter quelque atteinte aux honneurs dus
à cet illustre Apôtre, qui peut vous aider dans toutes
vos entreprises, et dans la suite vous obtenir de Dieu le pardon
de toutes vos offenses."
Les prières que saint Grégoire
adressait à l'impératrice pour l'honneur de la dignité
pontificale, Nous vous les adressons aujourd'hui ; ne souffrez
pas que dans ce vaste empire on avilisse la Primauté qui
appartient au Saint-Siège et qu'on anéantisse les
droits qui y sont attachés ; considérez les
mérites de Pierre, dont je suis l'héritier, quoique
indigne, et dont la grandeur doit être honorée jusque
dans mon néant et dans ma bassesse. Si une puissance étrangère
à l'Église enchaîne votre zèle, que
la religion et la fermeté suppléent du moins à
la force qui vous manque, et rejetez courageusement le serment
qu'on exige de vous. Le titre usurpé par Jean était
un moindre attentat aux Prérogatives du Saint-Siège,
que le décret de l'Assemblée nationale. Comment,
en effet, peut-on dire que l'on conserve, que l'on entretient
la communion avec le chef visible de l'Église, lorsqu'on
se borne à lui donner avis de son élection, et lorsqu'on
s'engage par serment à ne point reconnaître l'autorité
attachée à sa primauté ? En sa qualité
de chef, tous ses membres ne lui doivent-ils pas la promesse solennelle
de l'obéissance canonique, seule capable de conserver l'unité
dans l'Église, et d'empêcher que ce corps mystique
établi par Jésus-Christ ne soit déchiré
par des schismes ? Voyez, dans les Antiquités ecclésiastiques
de Martenne (Tom. II, lib I,
cap. II, art. 11, ord. I°, et apud Sirmond. in appendic.
ad tom. II Concilior. Galliæ, de antiquis Episcop. promotion.
formul. 13, pag. 656), la formule de
serment en usage pour les Églises de France depuis un grand
nombre de siècles : tous les Évêques,
dans la cérémonie de leur ordination, avaient coutume
d'ajouter à leur profession de foi la clause expresse de
l'obéissance au Pontife de Rome.
Nous n'ignorons pas sans doute, et ne croyons
pas devoir dissimuler ce que les partisans de la constitution
du clergé opposent à cette doctrine, et les objections
qu'ils tirent de la lettre de saint Hormisdas à Epiphane,
Patriarche de Constantinople, ou plutôt l'abus qu'ils font
de cette lettre, qui dépose contre eux. On y trouve en
effet la preuve de l'usage où étaient les Évêques
élus d'envoyer des députés avec une lettre
et leur profession de foi au Pontife Romain, pour lui demander
d'être admis à la communion du Saint-Siège,
et obtenir ainsi l'approbation de leur élection. Epiphane
ayant négligé l'observation de ces formalités,
saint Hormisdas lui écrivit en ces termes : " J'ai
été fort surpris de votre négligence à
observer l'ancien usage, maintenant surtout que par la grâce
de Dieu l'union est rétablie dans les Églises ;
comment avez-vous pu vous dispenser de ce devoir de paix et de
fraternité, que l'orgueil n'exige pas, mais que la règle
prescrit ? Il convenait, mon très-cher Frère,
qu'au commencement de votre pontificat vous eussiez l'attention
d'envoyer des députés au Siège Apostolique
pour me donner l'occasion de vous faire connaître toute
mon affection, et pour vous conformer à l'ancienne et respectable
coutume établie dans l'Église." (Epist.
71, in collect. Concil. Labbe, t. I, p.665)
Les adversaires de la Primauté concluent
de ce mot, " il convenait," que cette députation
n'était qu'une simple politesse, une cérémonie
de surérogation : mais le style de toute la lettre,
ces expressions " vous dispenser d'un devoir que la
règle prescrit, vous conformer à l'ancienne coutume,"
prouvent assez que c'est par modération que le Pontife
s'est servi de ce terme " il convenait, "
et qu'il n'a pas voulu faire entendre que les Évêques
ne fussent pas rigoureusement obligés de demander au Pape
son approbation.
Mais ce qui achève de fixer le véritable
sens de la lettre d'Hormisdas, c'est une autre lettre de saint
Léon IX, en réponse à celle que Pierre, Évêque
d'Antioche, lui avait écrite, pour lui faire part de son
élection (Epist. 5, in
collect. Labbe, tom. II, p. 1334) :
" En m'annonçant votre élection, vous
vous êtes acquitté d'un devoir indispensable, et
vous n'avez pas différé de remplir une formalité
essentielle pour vous et pour l'Église confiée à
vos soins. Élevé, malgré mon indignité,
sur le Trône apostolique pour approuver ce qui mérite
de l'être, et pour condamner ce qui est blâmable,
j'approuve, je loue et confirme avec plaisir la promotion de votre
très-sainte fraternité à l'épiscopat,
et je prie instamment Notre-Seigneur qu'il vous accorde la grâce
de mériter un jour à ses yeux le titre que vous
donne déjà le langage des hommes. " Cette
lettre ne nous offre pas les conjectures d'un docteur particulier,
mais la décision d'un Pontife célèbre par
sa sainteté et par ses lumières ; elle ne laisse
aucun doute sur le sens que j'ai donné à la lettre
d'Hormisdas, et doit être regardée comme le monument
le plus authentique du droit qu'a le Pontife Romain de confirmer
l'élection des Évêques ; ce droit est
encore appuyé sur l'autorité du Concile de Trente
(Sess. 23, can. 7, sess. 24,
de reformat., cap. I). Nous-même
Nous avons entrepris de le soutenir dans notre réponse
sur les nonciatures (Cap. VIII,
sess. 3, §55 et 56, pag. 211),
et plusieurs d'entre vous l'ont défendu par d'illustres
et savants écrits (*).
* : Depuis l'envoi de ce Bref, Nous sommes tombé sur une lettre du saint Pape Pie V, par laquelle il persiste à refuser la confirmation de Frédéric de Veda, nommé à l'archevêché de Cologne, et cela, parce qu'il ne voulait pas faire une profession de foi dans les termes de la formule approuvée par Pie IV, formule qui veut que l'on reconnaisse que l'Église Romaine est la mère, la maîtresse de toutes les Églises, que l'on promette avec serment une vraie obéissance au Pontife Romain, comme successeur de S. Pierre, prince des apôtres, Vicaire de Jésus-Christ. Et quoique Frédéric, depuis son élection, eût protesté de sa soumission à la foi orthodoxe, s'engageant à verser jusqu'à son sang, s'il le fallait, pour la foi catholique romaine, le saint Pape voyant ses exhortations, ses avis inutiles, ne laissa pas plus longtemps impunie la résistance de Frédéric, et lui enjoignit, ou d'obéir, ou de se démettre. Dans cette alternative, Frédéric aima mieux renoncer au siège de Cologne, que de prêter le serment dans la forme exigée, et il obtint de l'indulgence du Pape, de paraître avoir fait une cession volontaire de l'épiscopat, plutôt que d'en être déchu par sentence. Voyez les témoignages rapportés par Laderchius, Annal. Ecclés., t. XXIII, à l'an 1566, du n° 55 à 59, et à l'an 1567, n° 24.
Nous avons fait cette addition, à
l'exemple de saint Léon dans son Épître dogmatique
à Flavien, Évêque de Constantinople :
et Nous avons cru devoir vous la communiquer, au cas où
vous seriez animé du même désir que témoignaient
à ce saint Pape les évêques des Gaules, Cérétius,
Salonius et Véran, lorsqu'ils lui écrivaient :
" Si de nouvelles recherches vous offrent quelque supplément
à joindre pour l'édification de tous les lecteurs,
ordonnez avec le zèle ordinaire à votre piété
qu'on l'ajoute à ce rescrit." (Dans la collect.
des Épitr. Décrét. de S. Léon par
Rainaud. Ed. de Paris, 1761, p. 177.)
Mais, disent les apologistes des décrets
de l'Assemblée, la constitution du clergé ne regarde
que la discipline, qui souvent a changé suivant les circonstances,
et qui est encore aujourd'hui susceptible de changement. Je réponds
d'abord que, parmi les décrets relatifs à la discipline,
on en a glissé plusieurs destructifs du dogme et des principes
immuables de la foi, comme Nous l'avons déjà démontré ;
mais pour ne parler ici que de la discipline, est-il un catholique
qui ose soutenir que la discipline ecclésiastique peut
être changée par des laïques ? Pierre
de Marca (De Concord. sacerdot.
et imper., lib. II, c. VII, num. 8)
ne convient-il pas lui-même que les canons des Conciles,
et les décrets des Pontifes Romains, ont presque toujours
réglé ce qui concerne les rites, les cérémonies,
les sacrements, l'examen, les conditions et la discipline du Clergé,
parce que ce sujet est de leur compétence, et subordonne
à leur juridiction ? à peine pourrait-on citer
une ordonnance des souverains, en pareille matière, qui
soit émanée de la seule puissance temporelle ;
nous voyons que, dans cette partie, les lois civiles ont suivi
et jamais précédé.
En 1560, lorsque la faculté de théologie
de Paris examina plusieurs assertions de François Grimaudet,
avocat du roi, présentées aux États assemblés
à Angers, parmi les propositions qu'elle crut devoir censurer
on remarque la suivante, qui est sous le n° 6 :
Le second point de la religion est en la police et discipline
sacerdotale, sur laquelle les rois et princes chrétiens
ont puissance d'icelle dresser, mettre en ordre et réformer
icelle corrompue. Cette proposition, dit la Faculté,
est fausse, schismatique, tendant à énerver la puissance
spirituelle ; elle est hérétique, et aucune
des preuves dont on l'appuie ne sont concluantes (Carol.
d'Argentré, Collect. judicior., tom. II, oper. Paris. 1728,
pag. 291, in fin.). C'est d'ailleurs
une vérité constante que la discipline ne peut être
changée témérairement et arbitrairement,
puisque les deux plus brillantes lumières de l'Église,
S. Augustin (Epist. 54 ad Jan.,
cap. V, tom. II, oper. edit. Maurin, pag. 126)
et S. Thomas d'Aquin (Prima
secundæ quest. 97, art. 2), enseignent
positivement que les points de discipline ne peuvent être
changés sans nécessité, ou une grande utilité,
parce que l'avantage de la réforme est souvent détruit
par les inconvénients de la nouveauté, parce qu'on
" ne doit changer aucun article de la discipline, dit
S. Thomas, sans rendre d'un côté au bien commun ce
qu'on lui ôte de l'autre." Bien loin qu'on puisse reprocher
aux Pontifes Romains d'avoir altéré la discipline,
il est vrai de dire qu'ils ont toujours employé l'autorité
que Dieu leur a confiée, à l'améliorer et
à la perfectionner pour l'édification de l'Église.
Nous voyons avec douleur que l'Assemblée nationale a fait
tout le contraire, comme il est aisé de s'en convaincre
en comparant chacun de ses décrets avec la discipline ecclésiastique.
Mais avant d'en venir à l'examen de
ces articles, il est bon d'observer d'abord la liaison intime
que la discipline a souvent avec le dogme, combien elle contribue
à conserver sa pureté ; n'oublions pas aussi
que les changements bien rares permis par l'indulgence des Pontifes
Romains, ont eu peu d'utilité et une courte durée ;
et certes les saints Conciles ont souvent lancé la peine
d'excommunication contre ceux qui n'étaient coupables que
d'infractions contre la discipline de l'Église. En effet,
le Concile tenu en 692 à Constantinople dans le palais
de l'empereur, a excommunié ceux qui mangeraient le sang
des animaux suffoqués (Can.
67, in Collect. Labbe, tom. VII, pag. 1378) :
" Si quelqu'un à l'avenir, dit le Concile, ose
se permettre de manger le sang des animaux, s'il est dans les
ordres, qu'il soit déposé ; s'il est laïque,
qu'il soit séparé de la communion de l'Église. "
Le Concile de Trente, dans beaucoup d'endroits,
frappe également d'anathème ceux qui attaquent la
discipline ecclésiastique. En effet, dans le neuvième
canon de la session 13, qui traite de l'Eucharistie, il dit anathème
à " ceux qui nieraient que tous et chacun des
fidèles de l'un et l'autre sexe qui ont atteint l'âge
de raison, sont obligés de communier au moins une fois
l'année dans le temps de Pâques, selon le commandement
de la sainte Église notre mère." Même
peine prononcée par le septième canon de la session
22, qui traite du Sacrifice de la Messe, contre ceux qui diraient
que " les cérémonies, les ornements, et
les signes extérieurs que l'Église catholique emploie
dans la célébration de la messe, sont plus propres
à exciter les sarcasmes des impies, qu'à nourrir
la piété des fidèles." Même peine
infligée par le canon neuvième de la même
session contre ceux qui prétendraient " qu'on
doit blâmer le rit de l'Église romaine qui oblige
les prêtres de réciter à voix basse une partie
du Canon de la messe, ainsi que les paroles de la consécration,
et que la messe elle-même ne devrait être célébrée
qu'en langue vulgaire." Même peine ordonnée
par le canon 4 de la session 24, du Sacrement de Mariage, contre
ceux qui " oseraient soutenir que l'Église n'a
pas eu le pouvoir d'établir des empêchements dirimants,
ou qu'elle s'est trompée en les établissant."
Même peine infligée dans le neuvième canon
de la même session contre ceux qui diraient " que
les ecclésiastiques engagés dans les ordres sacrés,
ou les religieux obligés à la chasteté par
la profession solennelle, peuvent se marier, que leur mariage
est valide malgré la loi que l'Église a portée
pour les premiers, ou les vux que les derniers ont prononcés ;
que soutenir le contraire serait blâmer le mariage lui-même ;
enfin qu'il est permis de contracter mariage à tous ceux
qui ne croient pas avoir reçu du Ciel le don de chasteté,
quand même ils se seraient engagés par un vu
à la pratique de cette vertu." Même peine portée
par le canon onzième de la même session, contre ceux
qui diraient " que la défense de célébrer
les mariages dans certains temps de l'année, est une superstition
et une tyrannie qui prennent leur source dans les superstitions
du paganisme, et qui croiraient devoir condamner les bénédictions
et les autres cérémonies en usage dans l'Église
pour l'administration de ce sacrement." Même peine
enfin prononcée par le douzième canon de la même
session, contre ceux qui soutiendraient que les causes relatives
aux mariages ne sont pas du ressort des juges ecclésiastiques."
Alexandre VII a condamné depuis, sous
la même peine d'excommunication, la traduction en langue
française du Missel romain, comme une nouveauté
propre à faire perdre à l'Église une partie
de sa beauté, et capable d'introduire, avec l'esprit de
désobéissance, de témérité,
d'audace, de révolte et de schisme, tous les maux qui peuvent
en être la suite. Tant d'exemples d'anathèmes lancés
contre les infracteurs de la discipline, prouvent que l'Église
a toujours cru qu'elle était étroitement liée
avec le dogme, qu'elle ne peut jamais être changée
que par la puissance ecclésiastique, à laquelle
seule il appartient de juger que l'usage constamment suivi est
sans avantage, ou doit céder à la nécessité
de procurer un plus grand bien.
Il Nous reste à vous faire voir que
ces innovations, dont on espérait tant d'avantages, n'ont
été ni utiles ni durables. Rappelez-vous que Pie
IV, cédant enfin aux vives instances de l'empereur Ferdinand,
et d'Albert, duc de Bavière, accorda à quelques
Évêques d'Allemagne le privilège de permettre,
à certaines conditions, la communion sous les deux espèces ;
mais le saint Pontife Pie V, voyant qu'il en résultait
plus de mal que de bien pour l'Église, révoqua cette
concession dès le commencement de son Pontificat, par deux
Brefs apostoliques, l'un du 8 juin 1566, adressé à
Jean, Patriarche d'Aquilée, l'autre daté du lendemain,
et envoyé à Charles, archiduc d'Autriche. Urbain,
Évêque de Passaw, lui ayant demandé la même
grâce, Pie V lui répondit le 26 mai 1568 (Relat.
a Laderch. Annal. Ecclesiast. ad. ann. 1568, pag. 60, edit. Rom.
1733), et l'exhorta d'une manière
très-pressante " à conserver l'antique
et saint usage de l'Église, plutôt que d'adopter
la coutume des hérétiques ; vous devez, lui
dit-il, persister dans ce sentiment avec un courage et une constance
inébranlable : la crainte d'aucune perte, d'aucun
danger ne doit vous en détacher, fallût-il faire
le sacrifice de vos biens et même de votre vie. Le prix
que Dieu réserve à cette fermeté doit vous
paraître préférable à tous les biens
et à toutes les richesses de la terre : un chrétien,
un catholique, loin de fuir le martyre, doit le désirer,
le regarder comme un rare bienfait, et il doit envier le sort
de celui qui a été trouvé digne de répandre
son sang pour Jésus-Christ, et pour ses augustes sacrements."
C'est donc avec raison que saint Léon le Grand, écrivant
sur certains points de discipline aux Évêques établis
dans la Campanie, dans le Picentin, dans la Toscane et dans diverses
provinces, termine ainsi sa lettre (Epist.
3, tom. II, oper. edit. Tyrna., 1767) :
" Je vous déclare que si quelqu'un de nos frères
entreprend de violer ces règlements, s'il ose pratiquer
ce qui est défendu, il sera déchu de son office,
et ne participera point à notre communion, puisqu'il n'aura
point voulu participer à notre discipline."
Examinons maintenant les divers articles de
la constitution du clergé. Un des plus répréhensibles
est sans doute celui qui anéantit les anciennes métropoles,
supprime quelques évêchés, en érige
de nouveaux et change toute la distribution des diocèses.
Notre intention n'est pas de faire ici une dissertation critique
sur la description civile des anciennes Gaules, sur laquelle l'histoire
a laissé une grande obscurité, pour vous montrer
que les métropoles ecclésiastiques n'ont point suivi
l'ordre des provinces, ni pour le temps ni pour le lieu ;
il suffit au sujet que Nous traitons, de bien établir que
la distribution du territoire fixée par le gouvernement
civil n'est point la règle de l'étendue et des limites
de la juridiction ecclésiastique. Saint Innocent Ier
en donne la raison (Epist. 24
ad Alexandrum Antioch., cap. II, apud Coustant., pag. 852) :
" Vous me demandez, dit-il, si d'après la division
des provinces établie par l'empereur, de même qu'il
y a deux métropoles, il faut aussi nommer deux Évêques
métropolitains ; mais sachez que l'Église ne
doit point souffrir des variations que la nécessité
introduit dans le gouvernement temporel, que les honneurs et les
départements ecclésiastiques sont indépendants
de ceux que l'empereur juge à propos d'établir pour
ses intérêts. Il faut par conséquent que le
nombre des Évêques métropolitains reste conforme
à l'ancienne description des provinces." Pierre de
Marca ajoute un grand poids à cette lettre en la rapprochant
de la pratique de l'Église gallicane (De
Concord. sacerd. et imper., lib. II, cap. IX, num. 4 et 7) :
" Cette Église, dit-il, s'est trouvée
d'accord avec le Concile de Chalcédoine, et le décret
d'Innocent : elle a pensé que les rois n'avaient pas
le droit d'ériger de nouveaux évêchés,
etc. Il ne faut pas, par une basse flatterie envers les princes,
nous écarter du sentiment général de l'Église
universelle, comme il est arrivé à Marc-Antoine
de Dominis, qui, faussement et contre les canons, attribue aux
rois le pouvoir d'ériger des évêchés.
Cette erreur a été embrassée par quelques
modernes ; la vérité est qu'à l'Église
seule appartient le droit de régler tout ce qui concerne
cet article, comme je l'ai déjà dit."
Ce qu'on vous demande, Nous dit-on, c'est
d'approuver cette division des diocèses décrétée
par l'Assemblée ; mais ne faut-il pas que Nous examinions
mûrement si Nous devons l'approuver ? et le principe
vicieux d'après lequel ces divisions et ces suppressions
ont été ordonnées, n'est-il pas un grand
obstacle au consentement que Nous pourrions leur donner ?
Il faut d'ailleurs remarquer qu'il ne s'agit pas ici de quelques
changements dans un ou deux diocèses, mais du bouleversement
universel de tous les diocèses d'un grand empire ;
il s'agit de déplacer une foule d'Églises illustres,
de réduire les Archevêques au simple titre d'Évêques,
nouveauté expressément condamnée par Innocent
III, qui fit à ce sujet les reproches les plus vifs au
Patriarche d'Antioche (Epist.
50, pag. 29, num. 1, epistolar. edit. Paris. Baluz. 1682) :
" Par cette étrange innovation vous avez, lui
dit-il, pour ainsi dire rapetissé la grandeur, abaissé
l'élévation ; faire d'un archevêque un
simple évêque, c'est en quelque sorte le dégrader."
Yves de Chartres jugea que cette nouveauté
était d'une si grande conséquence, qu'il se crut
obligé de s'adresser au Pape Pascal Il, et de lui demander
de ne rien changer à la situation des Églises qui
subsistaient depuis quatre cents ans (Epist.
238, pag. 103, part. II, oper. edit. Paris, 1647) :
" Prenez garde, lui dit-il, que par là vous ne
fassiez naître en France le même schisme qui désole
l'Allemagne. " Joignez à cela qu'avant de donner
les mains à une telle opération, il Nous faudrait
consulter les Évêques dont il s'agit d'abolir les
droits, pour qu'on ne puisse Nous accuser d'avoir violé
envers eux les lois de la justice. S. Innocent Ier
exprime avec beaucoup d'énergie l'horreur que lui inspire
une pareille conduite (Epist.
7, num. 2, ad clerum et popul. Constantinop., apud Coustant.,
pag. 798) : " Qui pourrait
supporter, dit-il, les malversations dont se rendent coupables
ceux mêmes qui étaient spécialement chargés
de maintenir la tranquillité, l'union et la paix ?
Aujourd'hui, par le plus étrange renversement de l'ordre,
nous voyons des prêtres innocents chassés de leurs
Églises. Mon frère et mon collègue dans le
sacerdoce, Jean, votre Évêque, a été
la première victime de cette injustice ; on l'a dépouillé
de sa dignité sans vouloir l'entendre ; cependant
on ne lui reproche aucun crime, aucun accusateur ne se lève
contre lui. Quel est donc ce procédé injuste ?
Quoi ! sans aucune forme de procès, sans même
un semblant de jugement, on donne des successeurs à des
prêtres vivants, comme si des ecclésiastiques qui
débutent dans le ministère sous de pareils auspices,
et dont le premier pas est un crime, pouvaient jamais être
vertueux ou avoir produit des actes de vertu ! Cette violence,
absolument sans exemple chez nos ancêtres, était
même sévèrement défendue. On ne permit
jamais à personne de donner la consécration à
un Prêtre nommé à la place d'un Évêque
vivant. Une consécration illégitime ne détruit
point les droits du premier Évêque ; et celui
qu'on lui substitue injustement n'est qu'un intrus inhabile à
exercer les fonctions de l'épiscopat." Enfin, il faudrait
auparavant que Nous fussions instruit des sentiments du peuple
à qui l'on veut ravir l'avantage d'être plus près
de son Pasteur, et plus à portée des secours spirituels.
Ce changement, ou plutôt ce renversement
de la discipline, offre une autre nouveauté considérable
dans la forme d'élection, substituée à celle
qui était établie par un traité mutuel et
solennel connu sous le nom de concordat, passé entre Léon
X et François Ier, approuvé par le cinquième
Concile général de Latran, exécuté
avec la plus grande fidélité pendant deux cent cinquante
ans, et qui par conséquent, devait être regardé
comme une loi de la monarchie. On y avait réglé
d'un commun accord la manière de conférer les évêchés,
les prélatures, les abbayes et les bénéfices :
cependant, au mépris de ce traité, l'Assemblée
nationale a décrété que les Évêques
à l'avenir seraient élus par le peuple des districts
ou des municipalités, et semble avoir voulu par cette disposition
embrasser les erreurs de Luther et de Calvin, adoptées
depuis par l'apostat de Spalatro ; car ces hérétiques
soutenaient que l'élection des Évêques par
le peuple était de droit divin. Pour se convaincre de la
fausseté de ces opinions, il suffit de se rappeler la forme
des anciennes élections. Et pour commencer par Moïse,
ce législateur ne conféra-t-il pas la dignité
de pontife à Aaron, et ensuite à Éléazar,
sans le suffrage et le conseil de la multitude ? Notre-Seigneur
Jésus-Christ n'a-t-il pas choisi sans l'intervention du
peuple, d'abord douze apôtres, ensuite soixante et dix disciples ?
S. Paul eut-il besoin du peuple pour placer
Timothée sur le siège épiscopal d'Éphèse ;
Tite sur celui de l'île de Crète ; et Denis
l'Aréopagite, qu'il consacra même de ses propres
mains, sur celui de Corinthe ? (Euseb.
Hist. ecclesiastic. lib. III, cap. IV, n° 15, ibiq.
not. 6) S. Jean assembla-t-il le peuple
pour créer Polycarpe Évêque de Smyrne ?
(S. Hieronymus, de viris illustrib.,
cap. XVII, t. II, oper. pag. 843, edit. Vallars.)
Les apôtres n'ont-ils pas choisi eux-mêmes cette foule
innombrable de pasteurs qu'ils envoyaient chez des peuples étrangers
et infidèles, pour gouverner les Églises qu'ils
avaient fondées dans le Pont, dans la Galatie, dans la
Bithynie, dans la Cappadoce et dans l'Asie ? (Euseb.
citat., cap. IV, n° 5 ; S. Hieronym. comment. in
cap. XXV Matthæi, tom. VII, oper., pag. 207, edit. Vallars.)
Le premier Concile de Laodicée (Can.
13) et le quatrième Concile
de Constantinople (cumenic.
VIII, act. 10, canon. 12) reconnaissent
la légitimité de ces élections. S. Athanase
déclara Frumentius Évêque des Indes dans une
assemblée de prêtres et à l'insu du peuple
(Rufin., lib. X Histor., cap.
IX, sub fin.). S. Basile, sans le concours
des citoyens, nomma Euphronius dans un synode, à l'évêché
de Nicopolis (Epistol. 193 et
194). Lorsque S. Grégoire II
consacra S. Boniface évêque en Allemagne, les Allemands
n'en savaient rien, et même ne s'en doutaient pas. L'empereur
Valentinien lui-même répondit aux Prélats
qui lui déféraient l'élection de l'Évêque
de Milan (Theodoret., lib. IV
Histor. cap. VII) : " Ce
choix est au-dessus de mes forces ; mais vous que Dieu a
remplis de sa grâce, qui êtes pénétrés
de son esprit, vous choisirez beaucoup mieux que moi. "
Si Valentinien pensait ainsi, à plus forte raison, les
districts de la France devraient-ils avoir la même modestie,
et la conduite de cet empereur devrait être suivie de tous
les souverains, législateurs et magistrats catholiques.
À ces autorités, Luther, Calvin
et leurs partisans opposent l'exemple de S. Pierre, qui, dans
une assemblée des frères, composée de cent
vingt personnes, dit : " Il nous faut choisir parmi
les disciples qui ont coutume de nous accompagner, quelqu'un qui
soit capable de remplir le ministère, et de succéder
à l'apostolat dont Judas s'est rendu indigne." Mais
l'objection porte à faux : car, d'abord Pierre ne
laissa point à cette foule qui l'environnait la liberté
de choisir qui elle jugerait à propos, mais il lui désigna
un des disciples. Au reste, S. Chrysostome fait évanouir
toute espèce de difficulté en disant (Homil.
3 in Act. Apostol., tom. IX, oper. edit. Maurin., pag. 25, litt.
B) : " Quoi ! Pierre
ne pouvait-il pas choisir lui-même ? Il le pouvait,
sans doute ; mais il s'en abstint, pour que la faveur ne
parût pas avoir influé sur son choix." Cette
vérité tire une nouvelle force des autres actions
de Pierre, rapportées dans la lettre d'Innocent Ier
à Décentius (Epist.
25, apud Coustant., pag. 856, n° 2).
Lorsque les Ariens, abusant de la faveur de l'empereur Constance,
employèrent la violence pour chasser de leurs sièges
les Prélats catholiques, et y placer leurs partisans (ainsi
que S. Athanase le rapporte en gémissant (Histor.
Arianor. ad monach., n° 4, tom. I, oper. pag. 347, edit.
Maurin.)), on fut contraint, par le
malheur des temps, d'admettre le peuple à l'élection
des Évêques, pour l'exciter à maintenir dans
son siège le pasteur qu'on y aurait élevé
en sa présence ; mais le clergé ne perdit pas
pour cela le droit spécial à l'élection des
Évêques, qui lui a toujours appartenu ; et jamais
il n'est arrivé, comme on s'efforce aujourd'hui de le faire
accroire au public, que le peuple seul ait joui du droit d'élection ;
et jamais les Pontifes Romains n'ont abandonné à
cet égard l'exercice de leur autorité. Car S. Grégoire
le Grand envoya le sous-diacre Jean à Gênes, où
il y avait un grand nombre de Milanais assemblés, pour
sonder leurs intentions au sujet de Constance, afin que, si elles
se fixaient en sa faveur, les Évêques l'élevassent
sur le siège de Milan avec l'approbation du Souverain
Pontife (Epist. 30, lib. II,
pag. 646, edit. Maurin.). Dans une
lettre adressée à différents Évêques
de la Dalmatie (Epist. 10, lib.
IV, pag. 689), le même S. Grégoire,
en vertu de l'autorité de S. Pierre, Prince des Apôtres,
leur défend d'imposer les mains à qui que ce soit
dans la ville de Salone sans son consentement et sa permission,
et de donner à cette ville aucun autre Évêque
que celui qu'il leur désignerait ; il les menace,
s'ils refusent de lui obéir, de les priver de la communion
et de ne pas reconnaître pour Évêque celui
qu'ils auraient consacré. Il recommande dans une lettre
(Epist. 21, tom. VI, pag. 807)
à Pierre, Évêque d'Otrante, de parcourir les
villes de Brindes, de Lupia et de Gallipoli, dont les Évêques
étaient morts, de nommer à leur place des sujets
dignes de ce saint ministère, qui se rendraient auprès
du Pontife pour recevoir la consécration. Écrivant
dans la suite au peuple de Milan (Epist.
4, lib. II, pag. 1094 et seq.), il
approuve l'élection qu'on a faite de Dieudonné
à la place de Constance ; et s'il n'y a d'ailleurs
aucun obstacle de la part des saints canons, il ordonne, en vertu
de son autorité, qu'on lui donne solennellement la consécration.
S. Nicolas Ier ne cessa de reprocher au roi Lothaire
que dans son royaume il n'élevait à l'épiscopat
que les hommes qui lui étaient agréables ;
il lui enjoint, en vertu de son autorité apostolique, et
en le menaçant du jugement de Dieu, de n'établir
aucun Évêque à Trèves et à Cologne,
avant d'avoir consulté le Saint-Siège (Ivon.
Carnot. decret., part. V, cap. 357).
Innocent III annula l'élection de l'Évêque
de Penna, parce qu'il avait eu la témérité
de s'asseoir sur le siège épiscopal avant d'y être
appelé ou confirmé par le Pontife Romain (Rainald.
ad ann. 1099, n° 19) ;
il déclara de même Conrad déchu des évêchés
de Hildesheim et de Wirtzbourg, parce qu'il avait pris possession
de l'un et de l'autre sans son approbation (Albert.
Krantz, metropol., lib. VII, c. XVII, §1).
S. Bernard demanda humblement à Honorius II qu'il daignât
confirmer la nomination d'Albéric, de Châlons-sur-Marne,
élevé à l'épiscopat par son suffrage ;
ce qui prouve que le saint abbé était persuadé
que les élections d'Évêques étaient
de nulle valeur, si elles n'étaient approuvées par
le Saint-Siège (Epist.
13, tom. I, oper. p. 33, edit. Maurin.).
Enfin les troubles, les factions, les discordes
éternelles, et une foule d'abus forcèrent d'éloigner
le peuple des élections, et même de ne plus consulter
ni son vu ni son témoignage. Mais si cette exclusion
du peuple a eu lieu lorsque les électeurs étaient
tous catholiques, que dire du décret de l'Assemblée
nationale qui, excluant le clergé des élections,
les livre à des départements dans lesquels il se
trouve des juifs, des hérétiques, des hétérodoxes
de toute espèce ? La grande influence de ces ennemis
de la religion sur le choix des pasteurs produirait cet horrible
abus qui excitait l'indignation de saint Grégoire le Grand
(Epist. 4, lib. II, pag. 1094
et seq.) : " Non, disait
ce Pontife écrivant au peuple de Milan, non, je ne puis
consentir en aucune manière à l'élection
d'un sujet choisi, non par des catholiques, mais par des Lombards :
et si l'on donnait la consécration à un pasteur
élu par de tels hommes, on mettrait sur le siège
de Milan un bien indigne successeur de S. Ambroise."
Ce mode d'élection renouvellerait les
troubles, réveillerait les haines assoupies depuis si longtemps ;
il donnerait même à l'Église catholique des
Prélats fauteurs de l'hérésie, des docteurs
qui du moins en secret et au fond du cur nourriraient les
opinions erronées des électeurs : " Les
jugements du peuple, dit S. Jérôme, sont souvent
bien faux, le vulgaire se trompe dans le choix de ses prêtres ;
chacun les veut conformes à ses murs ; ce n'est
pas le meilleur pasteur qu'il cherche, mais un pasteur qui lui
ressemble. " (Lib.
I advers. Jovin., n° 14, pag. 292, tom. II, oper. edit. Vallars.)
Que faudrait-il attendre de ces Évêques qui ne seraient
pas entrés par la véritable porte ; ou plutôt
que de maux la religion n'aurait-elle pas à craindre de
ces hommes qui, enveloppés eux-mêmes dans les filets
de l'erreur, seraient incapables d'en garantir le peuple (S.
Damas. Epist. 3, n° 2, inter collect. a Coustant., pag. 482
et 486) ? Et certes des pasteurs
de cette espèce, quels qu'ils fussent, n'auraient le pouvoir
ni de lier ni de délier, puisqu'ils seraient sans mission
légitime ; puisqu'ils seraient sur-le-champ solennellement
excommuniés par le Saint-Siège, car telle est la
peine qu'il a toujours infligée à tous les intrus,
et c'est ainsi qu'encore aujourd'hui il a soin de foudroyer, par
une proclamation publique, chaque élection des Évêques
d'Utrecht (Benedict. XIV, ad
univers. cathol. in fderato Belgio commorantibus, in ejus
Bullar., t. I, const. 11).
Mais à mesure qu'on avance dans l'examen
de ce décret, on y rencontre des dispositions encore plus
vicieuses : les Évêques élus par leurs
départements ont ordre d'aller demander la confirmation
au Métropolitain, ou au plus ancien Évêque ;
s'il la refuse, il est obligé de consigner par écrit
les motifs de son refus. L'élu peut en appeler comme
d'abus devant les magistrats civils ; ce sont eux qui
décideront si l'exclusion est légitime ; ils
se constitueront juges des Métropolitains et des Évêques,
auxquels cependant appartient de plein droit le pouvoir de juger
des murs et de la doctrine, et qui, suivant S. Jérôme
(Advers. Luciferian, n° 5,
tom. II, oper. edit. Vallars, pag. 176),
ont été établis pour garantir le peuple de
l'erreur. Mais ce qui montre, d'une manière encore plus
sensible, l'illégitimité et l'incompétence
de cet appel aux laïques, c'est l'exemple mémorable
de l'empereur Constantin. Une foule d'Évêques s'étant
rendus à Nicée pour y tenir un concile, plusieurs
pensaient que l'empereur devait y assister aussi, afin qu'on pût
citer à son tribunal les Ariens.
Constantin, après avoir lu les requêtes
qui lui furent présentées à ce sujet, fit
cette fameuse réponse : " Je ne suis qu'un
homme ; ce serait un crime à moi de m'attribuer la
connaissance des affaires de cette nature où les accusateurs
et les accusés sont honorés du sacerdoce."
(Sozomen. Histor. Eccles., lib.
I, cap. XVII, n° 25) Nous
pourrions alléguer une multitude de traits semblables ;
mais il est inutile d'accumuler les preuves d'une vérité
si évidente. Si on oppose au respect de Constantin la conduite
de son fils Constance, de cet ennemi déclaré de
l'Église catholique, qui s'arrogeait un pouvoir que son
père avait avoué ne pas lui appartenir, je citerai
le témoignage de S. Athanase (Histor.
Arian. ad monach., n° 52, tom. I, oper. edit. Maurin.,
pag. 376) et de S. Jérôme
(Advers. Luciferian, n° 19,
tom. II, oper. edit. Vallars, pag. 191),
qui s'élèvent contre ces abus sacrilèges
de l'autorité.
Enfin, n'est-il pas évident que le
but de l'Assemblée dans ces décrets est de renverser
et d'anéantir l'épiscopat, comme en haine de la
religion dont les ministres sont les Évêques, à
qui on impose en outre un conseil permanent de prêtres devant
porter le nom de vicaires, et dont le nombre est fixé à
seize pour les villes de dix mille habitants, à douze pour
les lieux moins peuplés. On force encore les Évêques
de s'attacher les Curés des paroisses supprimées ;
ils sont déclarés leurs vicaires de plein droit,
et, par la force de ce droit, ils sont indépendants de
l'Évêque. Quoiqu'on lui laisse le libre choix de
ses autres vicaires, il ne peut cependant, sans leur aveu, exercer
aucun acte de juridiction, si ce n'est provisoirement ; il
ne peut destituer l'un d'eux qu'à la pluralité des
suffrages de son conseil. N'est-ce pas vouloir que chaque diocèse
soit gouverné par des prêtres, dont l'autorité
anéantira la juridiction de l'Évêque. N'est-ce
pas contredire ouvertement la doctrine exposée dans les
Actes des Apôtres : " Le Saint-Esprit a établi
les Évêques pour gouverner l'Église que Dieu
a acquise au prix de son sang ? " (Cap.
XX, vers. 28) Enfin n'est-ce pas troubler
et renverser absolument tout l'ordre de la hiérarchie ?
Par là les Prêtres deviennent les égaux des
Évêques, erreur que le prêtre Aerius enseigna
le premier, et qui fut ensuite soutenue par Wiclef, par
Marsile de Padoue, par Jean de Jandune, et enfin
par Calvin, comme l'observe Benoît XIV, dans son
Traité du Synode diocésain (Lib.
XIII, cap. I, n° 2).
Il y a plus : les prêtres sont
mis au-dessus des Évêques, puisque les Évêques
ne peuvent destituer aucun membre de leur conseil, ni rien décider
qu'à la pluralité des suffrages de leurs vicaires ;
cependant les chanoines qui composent les chapitres légitimement
établis, et qui forment le conseil des Églises,
lorsqu'ils sont appelés par l'Évêque, n'ont
dans les délibérations que voix consultative, comme
Benoît XIV l'affirme d'après deux conciles provinciaux
tenus à Bordeaux (Cit.
oper. de Synod. eod. lib. XIII, cap. II, n° 6).
Pour ce qui regarde les autres vicaires, qu'on
appelle vicaires de plein droit, il est très-étrange,
et tout à fait inouï, que les Évêques
soient forcés d'accepter leurs services, tandis qu'ils
peuvent avoir des motifs très-légitimes pour les
rejeter. Il est fort étonnant, surtout, que ces prêtres
n'étant que subsidiaires, et remplaçant dans ses
fonctions un homme qui n'est pas inhabile à les exercer
lui-même, ils ne soient pas soumis à celui au nom
duquel ils agissent.
Mais avançons. L'Assemblée a
du moins laissé aux Évêques le pouvoir de
choisir leurs vicaires dans tout le clergé. Mais quand
il a été question de régler l'administration
des séminaires, elle a décrété que
l'Évêque ne pourrait en choisir les supérieurs
que d'après l'avis de ses vicaires, et à la pluralité
des suffrages, et ne pourrait les destituer que de la même
manière. Qui ne voit à quel point on porte la défiance
contre les Évêques, qui cependant sont chargés
de droit de l'institution et de la discipline de ceux qui doivent
être admis dans le clergé et employés au ministère
ecclésiastique ? N'est-il pas incontestable que l'Évêque
est le chef et le premier supérieur du séminaire ?
Quoique le Concile de Trente (Sess.
23, de reformat., cap. XVIII) ordonne
que deux chanoines soient chargés de surveiller l'éducation
des jeunes clercs, il laisse cependant aux Évêques
la liberté de choisir ces deux chanoines, et de suivre
en cela l'inspiration du Saint-Esprit ; il ne les force
point à adopter leurs avis et à se conformer à
leurs décisions. Quelle confiance les Évêques
pourront-ils avoir dans les soins de ceux qui auront été
choisis par d'autres, et peut-être par des hommes qui auront
juré de maintenir la doctrine empoisonnée que renferment
ces décrets ?
Enfin, pour mettre le comble au mépris
et à l'abjection où l'on a dessein de plonger les
Évêques, on les assujettit tous les trois mois à
recevoir, comme vils mercenaires, un salaire modique, avec lequel
ils ne pourront plus soulager la misère de cette foule
de pauvres qui couvrent le royaume, et bien moins encore soutenir
la dignité du caractère épiscopal. Cette
nouvelle institution de portion congrue pour les Évêques,
contredit toutes les anciennes lois, qui assignaient aux Évêques
et aux Curés des fonds de terre pour les administrer eux-mêmes
et en recueillir les fruits comme le font les propriétaires.
Nous lisons dans les Capitulaires de Charlemagne (Capitular.
an. 789, cap. XV, tom. I, pag. 253, edit. Paris., Baluz.)
et dans ceux du roi Lothaire (Tit.
4, cap. I, tom. II, pag. 327, ejusd. edit.),
qu'il y avait un fonds territorial destiné à chaque
Église : " Nous ordonnons, dit un capitulaire,
d'après la volonté du roi notre seigneur et père,
qu'on donne pour revenu à chaque paroisse un domaine et
douze mesures de terres labourables." Lorsque la dot assignée
aux Évêques ne suffisait pas pour leur entretien,
on l'augmentait, en y joignant les revenus de quelque abbaye,
comme cela s'est pratiqué souvent en France, et comme Nous
Nous rappelons que cela s'est fait même sous notre Pontificat.
Mais aujourd'hui la subsistance des Évêques dépendra
des receveurs et des trésoriers laïques, qui pourront
leur refuser leur salaire, s'ils s'opposent aux décrets
illégitimes dont je viens de parler : outre cela,
chaque Évêque, réduit ainsi à une pension
fixe, ne pourra plus, quand la nécessité l'exigera,
se procurer un suppléant et un coadjuteur, se trouvant
hors d'état de fournir à son entretien d'une manière
convenable. Et cependant il arrive souvent dans les diocèses
qu'un Évêque, soit par vieillesse, soit par mauvaise
santé, ait besoin d'un coadjuteur ; c'est ainsi qu'un
Archevêque de Lyon demanda et obtint du Souverain Pontife
un suppléant, auquel on assigna une pension sur les revenus
de l'archevêché (Benedictus
XIV, de Synod. dic., lib. XIII, cap. XI, n° 12).
Nous venons de voir, avec la plus grande surprise,
nos chers Fils et Vénérables Frères, ces
renversements des principaux points de la discipline ecclésiastique,
ces suppressions, ces divisions, ces érections des sièges
épiscopaux, ces élections sacrilèges d'Évêques,
et les maux qui doivent en résulter ; mais ne faut-il
pas, pour les mêmes raisons, avoir la même idée
de la suppression des paroisses ? Vous l'avez déjà
remarqué dans votre exposition, mais je ne puis m'empêcher
d'y joindre mes propres réflexions. Le droit qu'on attribue
aux administrations des départements de fixer elles-mêmes
les limites des paroisses comme elles le jugeront à propos,
est déjà fort extraordinaire ; mais ce qui
m'a causé le plus grand étonnement, c'est le nombre
prodigieux de paroisses supprimées ; c'est le décret
qui ordonne que, dans les villes ou bourgs de six mille habitants,
il n'y aura qu'une seule paroisse. Et comment un curé pourra-t-il
jamais suffire à cette foule immense de paroissiens ?
Il me paraît à propos de rapporter ici les reproches
que fit autrefois à un curé le Cardinal Conrad,
envoyé par Grégoire IX pour présider le Synode
de Cologne. Ce curé s'opposait fortement à ce qu'on
admît dans cette ville des frères prêcheurs.
" Quel est, lui demanda le Cardinal, le nombre de vos
paroissiens ? Neuf mille, répondit le curé.
Et qui êtes-vous, malheureux, reprit le Cardinal, saisi
d'étonnement et de colère, qui êtes-vous,
pour suffire à l'instruction et à la conduite de
tant de milliers d'hommes ? Ne savez-vous pas, aveugle et
insensé que vous êtes, qu'au jour du jugement il
vous faudra répondre au tribunal de Dieu de tous ceux qui
vous sont confiés ? Et vous vous plaindriez d'avoir
pour vicaires de fervents religieux, qui porteraient gratuitement
une partie du fardeau sous lequel vous êtes écrasé
sans le savoir ! Mais parce que vos plaintes me prouvent
à quel point vous êtes indigne de gouverner une paroisse,
je vous interdis tout bénéfice à charge d'âmes."
(Abraham Bzov. Annal. Eccles.
ad ann. 1222, §6, edit. Colon., 1621)
Il est vrai que, dans ce passage, il est question de neuf mille
paroissiens, tandis que le décret de l'Assemblée
n'en donne que six mille à un curé : mais il
n'en est pas moins vrai que même six mille paroissiens excèdent
de beaucoup les forces d'un seul curé ; et l'inconvénient
inévitable de ce nombre excessif, sera de priver plusieurs
personnes des secours spirituels, sans leur laisser même
la ressource des religieux, qui sont supprimés.
Nous passons maintenant à l'invasion
des biens ecclésiastiques, c'est-à-dire à
la seconde erreur de Marsile de Padoue et de Jean de
Jandun, condamnée par la constitution de Jean XXII
(Apud Rainald. ad ann. 1327,
n° 28 ac seq.), et longtemps
auparavant par le décret du Pape S. Boniface Ier,
rapporté par plusieurs écrivains (Apud
Coustant., pag. 1050, n° 3).
" Il n'est permis à personne d'ignorer, dit le
sixième Concile de Tolède (Habit.
ann. 638, can. 15, in collect. Labbe, tom. VI, pag. 1497 et 1502),
que tout ce qui est consacré à Dieu, homme, animal,
champ, en un mot tout ce qui a été une fois dédié
au Seigneur, est au nombre des choses saintes, et appartient à
l'Église. C'est pourquoi quiconque enlève et ravage,
pille et usurpe l'héritage appartenant au Seigneur et à
l'Église, doit être regardé comme un sacrilège,
tant qu'il n'aura pas expié son crime et satisfait à
l'Église. S'il persiste dans son usurpation, qu'il soit
excommunié." Et comme l'observe Loyse, dans ses notes
sur ce Concile, Lettre D, " les ouvrages de plusieurs
savants écrivains, dont il serait trop long de faire ici
mention, prouvent combien il est criminel de dépouiller
les Églises des biens que les fidèles leur ont donnés
de bonne foi, et de les détourner à un autre usage.
J'ajouterai seulement qu'on lit dans les Constitutions orientales,
que Nicéphore Phocas enleva les dons faits aux monastères
et aux Églises, et porta même une loi qui défendait
de leur donner des immeubles, sous prétexte que les Évêques
les prodiguaient mal à propos à certains pauvres,
tandis que les soldats manquaient du nécessaire. Basile
le jeune abolit cette loi impie et téméraire, et
lui en substitua une autre digne d'être rapportée
ici. Des religieux dont la piété et la vertu sont
éprouvées, dit ce prince, et quelques autres saints
personnages, m'ont représenté que la loi portée
par l'usurpateur Nicéphore, contre les Églises et
les maisons religieuses, est la source et la racine de tous les
maux qui nous affligent, l'origine des troubles et de la confusion
qui règnent dans l'empire, comme étant un outrage
sanglant fait, non-seulement aux Églises, aux maisons,
religieuses, mais encore à Dieu même. L'expérience
s'accorde aussi avec leur sentiment, puisque depuis le moment
où cette loi a été exécutée,
nous n'avons connu aucun bonheur, et qu'au contraire tous les
genres de maux n'ont cessé de fondre sur nous. Persuadé
que toute mon autorité vient de Dieu, j'ordonne par la
présente bulle d'or qu'on cesse dès aujourd'hui
d'observer la loi de Nicéphore, qu'à l'avenir elle
soit abolie et regardée comme nulle, et que les anciennes
lois touchant les Églises de Dieu et les maisons religieuses
soient rétablies dans toute leur vigueur."
Tel fut aussi le vu ancien et constant
des grands et du peuple de France, vu exprimé dans
les prières qu'ils adressèrent à Charlemagne
en 803 (Capitular., tom. I,
pag. 405). " Nous supplions tous
à genoux Votre Majesté de garantir les Évêques
des hostilités auxquelles ils ont été exposés
jusqu'ici. Quand nous marchons sur vos pas à l'ennemi,
qu'ils restent paisibles dans leurs diocèses... Nous vous
déclarons cependant, à vous et à toute la
terre, que nous n'entendons pas pour cela les forcer de contribuer
de leurs biens aux dépenses de la guerre ; ils seront
les maîtres de donner ce qui leur plaira ; notre intention
n'est pas de dépouiller les églises, nous voudrions
même augmenter leurs richesses, si Dieu nous en donnait
le pouvoir, persuadés que ces libéralités
seraient votre salut et le nôtre, et nous attireraient la
protection du Ciel. Nous savons que les biens de l'Église
sont consacrés à Dieu, nous savons que ces biens
sont les offrandes des fidèles et la rançon de leurs
péchés. Et si quelqu'un est assez téméraire
pour enlever aux Églises les dons que les fidèles
y ont consacrés à Dieu, il n'y a point de doute
qu'il ne commette un sacrilège, et il faut être aveugle
pour ne pas le voir. Lorsque quelqu'un d'entre nous donne son
bien à l'Église, c'est à Dieu même,
c'est à ses saints qu'il l'offre et qu'il le consacre,
et non pas à un autre, comme le prouvent les actions et
les paroles mêmes du donateur ; car il dresse un état
de ce qu'il veut donner, et se présente à l'autel,
tenant en main cet écrit, et s'adressant aux prêtres
et aux gardiens du lieu : J'offre, dit-il, et je
consacre à Dieu tous les biens mentionnés sur ce
papier, pour la rémission de mes péchés,
de ceux de mes parents et de mes enfants... Celui qui les
enlève, après une telle consécration, ne
commet-il pas un véritable sacrilège ? S'emparer
des biens de son ami, c'est un larcin ; mais dérober
ceux de l'Église, c'est incontestablement un sacrilège.
Afin donc que tous les domaines ecclésiastiques soient
conservés à l'avenir sans aucune fraude, par vous
et par nous, par vos successeurs et par les nôtres, nous
vous prions de faire insérer notre demande dans les archives
de l'Église, et de lui donner une place parmi vos capitulaires."
" Je vous accorde votre demande,
leur répondit l'empereur (Capitular.,
tom. eod., pag. 407 et 411). Je n'ignore
pas que plusieurs empires et plusieurs monarques ont péri
pour avoir dépouillé les églises, ravagé,
vendu, pillé leurs biens, pour les avoir arrachés
aux Évêques et aux Prêtres, et ce qui est pire
encore, aux églises elles-mêmes. Et pour que ces
biens soient conservés à l'avenir avec plus de respect,
nous défendons en notre nom et au nom de nos successeurs,
pour toute la durée des siècles, à toute
personne, quelle qu'elle soit, d'accepter ou de vendre, sous quelque
prétexte que ce puisse être, les biens de l'Église,
sans le consentement et la volonté des Évêques
dans les diocèses desquels ils sont situés, et,
à plus forte raison, d'usurper ces mêmes biens ou
de les ravager. S'il arrive que sous notre règne ou sous
celui de nos successeurs, quelqu'un se rende coupable de ce crime,
qu'il soit soumis aux peines destinées aux sacrilèges,
qu'il soit puni légalement par nous, par nos successeurs
et par nos juges comme un homicide et un voleur sacrilège,
et que nos Évêques lancent contre lui l'anathème."
Que tous ceux qui participent à cette
usurpation se rappellent la vengeance que le Seigneur tira d'Héliodore
et de ceux qui lui prêtèrent leurs services pour
enlever les trésors du temple ; l'Esprit de Dieu dans
ce moment fit éclater sa puissance ; il terrassa et
glaça d'épouvante tous les coupables ministres d'Héliodore.
Un cheval, couvert de magnifiques harnais, s'offrit à leurs
regards effrayés ; le cavalier qui le montait avait
un air terrible, et paraissait revêtu d'une armure d'or.
Le cheval s'élança sur Héliodore, et lui
fracassa le corps à coups de pieds. Deux autres jeunes
gens, superbement vêtus, pleins de fierté et d'ardeur,
environnèrent ce malheureux, et de chaque côté
le flagellèrent sans relâche. Déchiré,
sanglant, Héliodore tombe et s'évanouit ; un
nuage s'épaissit autour de lui ; alors les jeunes
gens l'enlèvent et le jettent dans sa litière. Voilà
ce qu'on lit au second livre des Machabées (Cap.
III, vers. 24 ad 28), et cependant,
il ne s'agissait pas alors des biens destinés aux sacrifices,
aux dépenses particulières du temple, mais de l'or
qu'on y avait déposé pour plus grande sûreté,
et qu'on réservait à l'entretien des veuves, des
orphelins et des pauvres, ce qui n'empêcha pas que Dieu
n'infligeât à Héliodore et à ses complices
ce châtiment terrible, seulement pour avoir violé
la majesté et la sainteté du temple, et pour avoir
voulu prendre le bien d'autrui. Épouvanté par cet
exemple, l'empereur Théodose renonça au dessein
qu'il avait de s'emparer du dépôt d'une veuve que
l'on conservait dans l'église de Pavie, comme le raconte
saint Ambroise (Lib II, de Offic.,
cap. XXIX, n°s 150 et 151, t. II oper., pag.
106, edit. Maurin.).
Ce qui paraîtra presque incroyable,
c'est que, dans le moment où l'on s'empare des biens des
églises et des prêtres catholiques, on respecte les
possessions que les ministres protestants, ennemis de l'Église,
ont autrefois envahies sur elle, et cela sous le prétexte
des traités. Sans doute que l'Assemblée nationale
regarde les traités faits avec les protestants comme plus
sacrés que les canons ecclésiastiques, et que le
concordat passé entre le Chef de l'Église et François
Ier.
Et il lui a plu de faire cette faveur aux
protestants, précisément au moment où elle
dépouillait le clergé catholique. Qui ne voit que
le principal objet des usurpateurs, dans cette invasion des biens
ecclésiastiques, est de profaner les temples, d'avilir
les ministres des autels, et de détourner à l'avenir
tous les citoyens de l'état ecclésiastique ?
Car à peine avaient-ils commencé à porter
les mains sur cette proie, que le culte divin a été
aboli, les églises fermées, les vases sacrés
enlevés, le chant des divins offices interrompu. La France
pouvait se glorifier d'avoir vu fleurir dans son sein, dès
le sixième siècle, des chapitres de clercs réguliers,
comme on peut s'en convaincre par l'autorité de Grégoire
de Tours (Hist. Francor., lib.
X, §16, pag. 535), par les monuments
que dom Mabillon a rassemblés dans un ouvrage intitulé :
Recueil choisi des pièces anciennes (pag.
249. Paris. 1722), et le témoignage
du troisième Concile d'Orléans, tenu en 538 (canon.
11, pen. Labbe, tom. V, concil., pag. 1277) ;
mais elle pleure aujourd'hui l'abolition et la ruine de ces pieux
établissements injustement et indignement proscrits par
l'Assemblée nationale. La fonction principale des chanoines
était de payer chaque jour un tribut commun de louanges
à l'Être-Suprême, par le chant des psaumes.
Paul le Diacre, dans les Vies qu'il a écrites des Évêques
de Metz (tom. XIII, Biblioth.
PP. edit. Lugd., p. 321), nous en fournit
la preuve. On y lit : que " l'évêque
Chrodegand avait non-seulement formé son clergé
par l'étude de la loi de Dieu, mais qu'il avait eu le soin
de lui faire apprendre le chant romain, et qu'il lui aurait enjoint
de se conformer aux usages et à la pratique de l'Église
romaine."
L'empereur Charlemagne ayant adressé
au Pape Adrien Ier un ouvrage sur le Culte des images
pour le soumettre à son examen, ce Pape profita de cette
occasion pour engager l'empereur à établir sans
délai l'usage du chant dans plusieurs Églises de
France, qui refusaient depuis longtemps de suivre en ce point
la pratique de l'Église romaine, afin, disait ce pape,
que ces mêmes Églises qui regardent le Saint-Siège
comme la règle de leur foi, le regardent encore comme leur
modèle dans la manière d'honorer la divinité.
La réponse de Charlemagne se trouve en entier dans l'ouvrage
de George, sur la Liturgie du Souverain Pontife (Tom.
II, dissertat. 1, cap. VII, §6).
Le même empereur établit en conséquence une
école de chant dans le monastère de Centule,
aujourd'hui Saint-Riquier, sur le modèle de celle
que S. Grégoire le Grand avait établie à
Rome ; il y pourvut à la nourriture de cent jeunes
gens, qui, divisés en trois classes, devaient aider les
moines dans le chant et la psalmodie (Georg.
loco cit., §7). Coloman Sanftl,
religieux bibliothécaire du monastère de St-Emmeran
à Ratisbonne, vient à l'appui de toutes ces autorités,
dans une dissertation qu'il a composée depuis peu de temps,
et qu'il Nous a dédiée, sur un très-ancien
et très-précieux manuscrit des saints Évangiles,
que l'on conserve dans ce monastère (Part.
I, Præliminar. §1, part. 3 et 4).
" Dans l'origine, dit cet auteur, les Évêques
de France et d'Espagne donnèrent tous leurs soins à
établir dans chaque province un rit uniforme pour les offices
divins. Le recueil des canons faits par les Évêques
de ces deux royaumes, contient plusieurs lois sur cette matière.
Le règlement le plus célèbre à cet
égard est celui du quatrième Concile de Tolède,
tenu l'an 531. Les pères de ce Concile, après avoir
fait une exposition de la foi catholique, n'eurent rien plus à
cur que d'établir pour les Églises une manière
de chanter uniforme. Ce règlement est l'objet du deuxième
canon. " Le P. Mabillon, dans ses Recherches sur
la liturgie gallicane, parle à peu près de même
de l'importance et de l'antiquité de cet usage (In
calce suæ gallic. Liturg., §5, n°49, pag. 418,
edit. Paris., 1729).
Un rit que l'Église gallicane, dans
les siècles même les plus
reculés, avait établi et maintenu avec un si grand
soin, pour fixer les ecclésiastiques dans l'état
de chanoine par des fonctions honorables, un rit qu'elle regardait
comme propre à nourrir la piété, à
exciter la dévotion des fidèles, et les inviter,
par l'attrait du chant et l'éclat des cérémonies,
à remplir les devoirs de la religion, et a mériter
par là de nouvelles grâces ; l'Assemblée
nationale, non sans un grand scandale, vient, par un seul décret,
de l'anéantir, de le supprimer et de l'abolir ; et
en cela, comme dans tous les autres articles du décret,
elle a adopté les principes des hérétiques,
et notamment les opinions insensées des Wiclefistes,
des Centuriateurs de Magdebourg et de Calvin, qui
se sont élevés avec fureur contre l'usage du chant
ecclésiastique, et ont osé en nier l'antiquité.
La réfutation de ces hérétiques est le sujet
d'un grand ouvrage composé par le P. Martin Gerbert, abbé
du monastère et de la congrégation de Saint-Blaise,
dans la forêt Noire (De
cantu et musica sacra., tom. II, lib. IV, cap.II).
Nous avons eu occasion de voir plusieurs fois cet auteur estimable
à Vienne, en 1782, pendant le séjour que Nous y
avons fait pour l'avantage de la religion, et Nous avons reconnu
par nous-même combien il est digne de la grande réputation
qu'il s'est acquise.
Nous ne pouvons que conseiller aux auteurs
de ce décret de lire attentivement les anathèmes
prononcés par le Concile d'Arras, en 1025 (Cap.
XII, de psallendi officio in collect. Labbe, tom. XI, pag. 1181
et seq.), contre les ennemis du chant
ecclésiastique, afin qu'une honte salutaire les fasse rentrer
en eux-mêmes. " Qui peut douter, dit le saint
Concile, que vous ne soyez possédés de l'esprit
immonde, puisque vous rejetez comme une superstition l'usage de
la psalmodie établi dans l'Église par l'Esprit-Saint.
Ce n'est pas des jeux et des spectacles profanes, mais des Pères
de l'Ancien et du Nouveau Testament que le clergé a emprunté
le ton et les modulations de cette musique religieuse... Ainsi
ceux qui prétendent que le chant des psaumes est étranger
au culte divin, doivent être bannis du sein de l'Église...;
de tels novateurs sont parfaitement d'accord avec leur chef, c'est-à-dire
avec l'esprit de ténèbres, source de toutes les
iniquités, et qui cherche à dénaturer, à
corrompre par de malignes interprétations le sens des saintes
Écritures, quoiqu'il en connaisse le vrai sens. "
Enfin, si la gloire de la maison de Dieu, si la majesté
du culte est avilie dans le royaume, le nombre des ecclésiastiques
diminuera nécessairement, et la France aura le même
sort que la Judée, qui, au rapport de saint Augustin (De
civit. Dei, lib. XVIII, cap. XLV, n° 1, tom. VI, oper.
pag. 527, edit. Maurin.), lorsqu'elle
n'eut plus de prophètes, tomba dans l'opprobre et l'avilissement,
au moment où elle se croyait à l'époque de
sa régénération.
Venons maintenant aux réguliers, dont
l'Assemblée nationale s'est réellement appropriée
les biens, en déclarant qu'ils sont à la disposition
de la nation, expression moins odieuse que celle de propriété,
et qui présente, en effet, un sens un peu différent.
Par son décret du 13 février, sanctionné
six jours après par le roi, elle a supprimé tous
les ordres réguliers, et défendu d'en fonder aucun
autre à l'avenir. Cependant l'expérience a fait
voir combien ils étaient utiles à l'Église ;
le Concile de Trente leur a rendu ce témoignage ;
il a déclaré (Sess.
25, de regular., cap. I), " qu'il
n'ignorait pas combien de gloire et d'avantages procuraient à
l'Église de Dieu les monastères saintement institués
et sagement gouvernés. "
Tous les Pères de l'Église ont
comblé d'éloges les ordres réguliers, et
S. Chrysostôme, entre autres, a composé trois livres
entiers contre leurs détracteurs (Tom.
I, oper. edit Maurin. a pag. 44 ad 118, et opuscul. de comparation.
regis et monachi, tom. eod. a pag. 116 ad 121).
S. Grégoire le Grand, après avoir averti Marinien,
Archevêque de Ravenne, de n'exercer aucune vexation contre
les monastères, mais, au contraire, de les protéger
et de tâcher d'y réunir un grand nombre de religieux
(Epist. 29, litt. A, lib. VI,
t. II, oper. edit. Maurin.), assembla
un Concile d'Évêques et de Prêtres, où
il porta un décret qui défend à tout Évêque
et à tout séculier de causer quelque dommage,
par surprise ou autrement, dans quelque circonstance que ce soit,
aux revenus, biens, chartes, maisons des religieux, et d'y faire
aucune incursion (In appendic.
espistolar. S. Gregorii magni cit., tom. II, pag. 1294, n° 7).
Au XIIIe siècle, Guillaume de Saint-Amour
se répandit en invectives contre eux, dans son livre intitulé :
Des dangers des derniers temps, où il détourne
les hommes de se convertir et d'entrer en religion. Mais ce livre
fut condamné par le Pape Alexandre IV, comme criminel,
exécrable et impie (Constit.
32, int. Illas ejusde. Pont. in bullar. Rom., tom. III, p. 378,
edit. Rom., 1740).
Deux docteurs de l'Église, S. Thomas
d'Aquin (Tom. XXV, oper. edit.
Paris., 1660, pag. 533 ad 666) et S.
Bonaventure (Libell. Apologetic.,
tom. VII, oper. edit. Lugdun., 1668, pag. 346 ad 385),
ont aussi repoussé les calomnies de Guillaume ; et
Luther, ayant adopté la même doctrine, a été
également condamné par le Pape Léon X (Bulla
in collect. concilior. Labbe, tom. XIX, pag. 153).
Le Concile de Rouen, tenu en 1581 (In
ead. collect. Labbe, cap. de curator. offic., n° 41,
tom. XXI, pag. 651), recommande aux
Évêques de protéger, de chérir les
réguliers, qui partagent avec eux les fatigues du ministère,
de les nourrir comme leurs coadjuteurs, et de repousser, comme
si elles leur étaient personnelles, toutes les insultes
faites aux religieux. L'histoire a consacré le souvenir
des pieux projets de S. Louis, roi de France, qui avait résolu
de faire élever, dans un monastère, deux fils qu'il
avait eus pendant le cours de son expédition d'Orient,
quand ils auraient atteint l'âge de raison ; l'un devait
être confié aux Dominicains, l'autre aux Frères
Mineurs, pour qu'ils fussent formés, dans cette sainte
école, à l'amour de la religion et des lettres ;
et leur père désirait de tout son cur que
ces jeunes princes, imbus des plus salutaires préceptes,
et inspirés de l'esprit de Dieu, se consacrassent tout
entiers à la piété dans ces mêmes monastères
qui auraient servi à leur éducation (Vita
S. Ludovici, cap. XIV, inter. Francor. script. collect. a Duchesne,
tom. V, pag. 448 in fin.). Dans ces
derniers temps, les auteurs de l'ouvrage intitulé Nouveau
traité de diplomatique (Où
l'on examine les fondements de cet art, t. V, p. 379, in fin.
et 380, édit. Paris., 1762),
réfutant les ennemis des privilèges accordés
aux religieux, se sont exprimés avec beaucoup d'énergie :
" Quelle attention, disent-ils, peuvent donc mériter
les déclamations de l'historien du droit public ecclésiastique
français, contre les privilèges accordés
aux monastères ; privilèges, dit-il, et exemptions
qui n'ont pu être accordés sans renverser la hiérarchie,
sans violer les droits de l'épiscopat, et qui sont de vrais
abus, et en ont produit de fort considérables ? QUELLE
TÉMÉRITÉ de s'élever
ainsi contre une discipline si ancienne, si autorisée dans
l'Église et dans l'État ! "
Il est bien vrai que plusieurs ordres religieux
se sont relâchés de leur ferveur primitive, que la
sévérité de l'ancienne discipline s'y est
considérablement affaiblie, et personne ne doit en être
surpris. Mais faut-il pour cela les détruire ? Écoutons
ce que répondit au Concile de Bâle Jean de Polemar,
aux objections de Pierre Rayne, contre les réguliers. Il
convint d'abord " qu'il s'était glissé,
parmi les réguliers, quelques abus qui exigeaient une réforme.
Mais en admettant qu'on pouvait leur faire ce reproche, comme
à tous les autres états, il ne s'étendit
pas moins sur les éloges qu'ils méritaient, par
les lumières que leur doctrine et leur prédication
répandaient dans l'Église. Un homme raisonnable,
dit-il, se trouvant dans un lieu obscur, éteint-il la lampe
qui l'éclaire, parce qu'elle ne jette pas un assez grand
éclat ? Ne prend-il pas soin plutôt de la nettoyer
et de la mettre en état ? Ne vaut-il pas mieux, en
effet, être un peu moins bien éclairé, que
de rester absolument sans lumière ? " (In
collect. Labbe, tom. XVII, pag. 1231)
Cette pensée est la même que celle de saint Augustin,
qui avait dit, longtemps auparavant, " Faut-il donc
abandonner l'étude de la médecine, parce qu'il y
a des maladies incurables ? " (Epist.
93, n° 3, tom. II, oper. pag. 231, edit. Maurin).
Ainsi, l'Assemblée nationale, empressée
à favoriser les faux systèmes des hérétiques,
en abolissant les ordres religieux, condamne la profession publique
des conseils de l'Évangile ; elle blâme un genre
de vie toujours approuvé dans l'Église, comme très-conforme
à la doctrine des apôtres : elle insulte les
saints fondateurs de ces ordres, à qui la religion a élevé
des autels, et qui n'ont établi ces sociétés
que par une inspiration divine. Mais l'Assemblée nationale,
va plus loin encore. Dans son décret du 13 février
1790, elle déclare qu'elle ne reconnaît point les
vux solennels des religieux, et par conséquent, que
les ordres et congrégations régulières où
l'on fait ces vux, sont et demeurent supprimés en
France, et qu'à l'avenir on ne pourra jamais en fonder
de semblables. N'est-ce pas là une atteinte portée
à l'autorité du Souverain Pontife, qui seul a le
droit de statuer sur les vux solennels et perpétuels ?
" Les grands vux, dit S. Thomas d'Aquin, c'est-à-dire
les vux de continence, etc. sont réservés
au Souverain Pontife. Ces vux sont des engagements solennels
que nous contractons avec Dieu pour notre propre avantage "
(I, 2, quest. 88, art. 12, in
fin.). C'est pour cela que le prophète
a dit dans le psaume 75, v. 12 : " Engagez-vous
par des vux avec le Seigneur votre Dieu, et gardez-vous
ensuite d'y être infidèles. " C'est pour
cela encore qu'on lit dans l'Ecclésiaste (cap.
V, vers. 3) : " Si vous
avez fait un vu à Dieu, ne tardez pas à l'accomplir ;
une promesse vaine et sans effet est un crime à ses yeux ;
soyez donc fidèle à tenir tout ce que vous lui avez
promis. "
Aussi, lors même que le Souverain Pontife
croit, pour des raisons particulières, devoir accorder
dispense des vux solennels, ce n'est pas en vertu d'un pouvoir
personnel et arbitraire qu'il agit ; il ne fait que manifester
la volonté de Dieu dont il est l'organe. Il ne faut pas
être étonné que Luther ait enseigné
qu'on n'était pas tenu d'accomplir ses vux, puisque
lui-même fut un apostat, un déserteur de son ordre.
Les membres de l'Assemblée nationale, qui se piquent d'être
sages et prudents, voulant se dérober aux murmures et aux
reproches que la vue de tant de religieux dispersés allait
exciter tout contre eux, ont jugé à propos d'ôter
aux religieux leur habit, pour qu'il ne restât aucune trace
de l'état auquel on les avait arrachés, et pour
effacer même jusqu'au souvenir des ordres monastiques. On
a donc détruit les religieux, d'abord pour s'emparer de
leurs biens, ensuite pour anéantir la race de ces hommes
qui pouvaient éclairer le peuple, et s'opposer à
la corruption des murs. Ce stratagème perfide et
coupable est peint avec énergie, et réprouvé
par le Concile de Sens : " Ils accordent, dit-il,
aux moines et à tous ceux qui sont liés par des
vux, la liberté de suivre leurs passions ; ils
leur offrent la liberté de quitter leur habit, de rentrer
dans le monde ; ils les invitent à l'apostasie, et
leur apprennent à braver les décrets des Pontifes
et les canons des Conciles. " (In
collect. Labbe, tom. XIX, pag. 1157 et 1158.)
Ajoutons à ce que je viens de dire
sur les vux des réguliers, l'odieux décret
porté contre les vierges saintes, et qui les chasse de
leur asile, à l'exemple de Luther : car on vit aussi
cet hérésiarque, suivant le langage du Pape Adrien
VI, " souiller ces vases consacrés au Seigneur,
arracher des monastères les vierges vouées à
Dieu, et les rendre au monde profane, ou plutôt à
Satan qu'elles avaient abjuré. " (Hadrianus
VI. In brevi ad Frideric. Saxoniæ duc. advers. Luther. in
collect. Labbe, tom. XIX, pag. 10, lib. IV.)
Cependant les religieuses, cette portion si distinguée
du troupeau des fidèles catholiques, ont souvent, par leurs
prières, détourné de dessus les villes les
plus grands fléaux : " S'il n'y avait pas
eu de religieuses à Rome, dit saint Grégoire le
Grand, aucun de nous, depuis tant d'années, n'eût
échappé au glaive des Lombards. " (Epist.
26, lib. VII, pag. 872, edit. Maurin.)
Benoît XIV rend le même témoignage aux religieuses
de Bologne : " Cette ville accablée de tant
de calamités depuis plusieurs années, ne subsisterait
plus aujourd'hui si les prières de nos religieuses n'eussent
apaisé la colère du Ciel. " (Institut.
Ecclesiastic. 29, pag. 142, edit. Rom., 1747)
Notre cur a été vivement touché des
persécutions qu'éprouvent les religieuses en France ;
la plupart Nous ont écrit des différentes provinces
de ce royaume pour Nous témoigner à quel point elles
étaient affligées de voir qu'on les empêchait
d'observer leur règle et d'être fidèles à
leurs vux ; elles Nous ont protesté qu'elles
étaient déterminées à tout souffrir,
plutôt que de manquer à leurs engagements. Nous devons,
nos chers Fils et Vénérables Frères, rendre
auprès de vous témoignage à leur constance
et à leur courage ; Nous vous prions de les soutenir
encore par vos conseils et vos exhortations, et de leur donner
tous les secours qui seront en votre pouvoir.
Nous pourrions faire un grand nombre d'autres
observations sur cette nouvelle constitution du clergé,
qui, depuis le commencement jusqu'à la fin, n'offre presque
rien qui ne soit dangereux et répréhensible ;
qui, dans toutes ses parties, dictée par le même
esprit et par les mêmes principes, présente à
peine un article sain et tout à fait exempt d'erreur. Mais
après en avoir relevé les dispositions, les plus
choquantes, lorsque les papiers publics Nous ont appris que l'Évêque
d'Autun contre notre attente s'était engagé par
serment à observer une aussi blâmable constitution,
Nous avons été accablé d'une si violente
douleur que la plume Nous est tombée des mains : Nous
n'avions plus de forces pour continuer notre travail, et jour
et nuit nos yeux étaient baignés de larmes, en voyant
un Évêque, un seul Évêque se séparer
de ses collègues, et prendre le Ciel à témoin
de ses erreurs. Il est vrai qu'il a prétendu se justifier
sur un article, qui concerne la nouvelle
distribution des diocèses ; il s'est servi d'une comparaison
frivole, qui peut en imposer aux simples et faire illusion aux
ignorants. C'est, dit-il, comme si tout le peuple d'un diocèse,
par l'effet de quelque besoin pressant, recevait ordre de la puissance
civile de passer dans un autre diocèse. Mais il n'y a aucune
parité entre ces deux exemples. En effet, lorsque le peuple
d'un diocèse l'abandonne pour passer dans un autre, l'Évêque
du diocèse où il se transporte exerce sur ces nouveaux
habitants, dans l'étendue de son ressort, sa juridiction
propre et ordinaire, juridiction qu'il ne tient pas de la puissance
civile, mais qui lui appartient de droit en vertu de son titre ;
car tous ceux qui habitent un diocèse sont soumis de droit
au gouvernement de l'Évêque de ce diocèse,
à raison du séjour qu'ils y font et du domicile
qu'ils y ont établi. Que s'il arrive que l'Évêque
du diocèse abandonné par le peuple se trouve absolument
seul, ce pasteur sans troupeau n'en sera pas moins Évêque,
son église n'en sera pas moins une cathédrale ;
l'Évêque et son église conserveront tous leurs
droits : c'est ce qui a lieu pour les églises qui
sont sous la domination des Turcs et des infidèles, et
dont on confère souvent encore le titre à des Évêques.
Mais quand les bornes des diocèses sont entièrement
bouleversées et confondues, quand des diocèses en
totalité ou en partie sont enlevés à leur
Évêque et donnés à un autre, alors
l'Évêque que l'on dépouille de son diocèse
en totalité ou en partie, ne peut, sans y être autorisé
par l'Église, abandonner le troupeau qui lui a été
confié ; et l'autre Évêque à qui
l'on donne irrégulièrement un nouveau diocèse,
ne peut exercer aucune juridiction sur un territoire étranger,
ni conduire les brebis d'un autre pasteur ; car la mission
canonique et la juridiction de chaque Évêque est
renfermée dans certaines bornes, et jamais l'autorité
civile ne pourra ni les étendre ni les resserrer.
On ne pouvait donc rien imaginer de plus absurde
que cette comparaison de l'émigration du peuple d'un diocèse
dans un autre, avec les changements qu'on veut aujourd'hui introduire
dans les diocèses et dans leurs limites ; car dans
le premier cas l'Évêque ne cesse point d'exercer
dans son diocèse la juridiction qui lui est propre, au
lieu que dans le second l'Évêque étend sa
juridiction sur un diocèse étranger dans lequel
il ne peut exercer aucune fonction. Nous ne voyons donc rien dans
la doctrine de l'Église catholique qui puisse excuser en
aucune manière le serment impie prêté par
l'Évêque d'Autun. Les premières qualités
d'un serment sont d'être vrai et juste : mais d'après
les principes que Nous avons établis, où est la
vérité, où est la justice dans un serment
qui ne renferme rien que de faux et d'illégitime ?
L'Évêque d'Autun ne s'est pas même laissé
à lui-même l'excuse de la légèreté
et de la précipitation. Son serment a été
le fruit de la réflexion et d'un dessein prémédité,
puisqu'il a cherché des sophismes pour le justifier. N'avait-il
pas d'ailleurs sous les yeux l'exemple de ses collègues
qui combattaient cette constitution avec autant de piété
que de savoir ; et la mémoire de sa consécration,
encore récente, ne devait-elle pas retracer à son
esprit un serment bien différent, qu'il avait prêté
dans cette cérémonie. Il faut donc dire qu'il s'est
souillé d'un parjure aussi volontaire que sacrilège,
en prêtant un serment contraire aux dogmes de l'Église
et à ses droits les plus sacrés.
Il ne sera pas hors de propos de rappeler
ici ce qui s'est passé en Angleterre sous le règne
de Henri II. Ce prince avait fait une constitution du clergé
à peu près semblable à celle de l'Assemblée
nationale, mais qui contenait un moindre nombre d'articles. Il
y abolissait les libertés de l'Église anglicane,
et s'attribuait à lui-même les droits et l'autorité
des supérieurs ecclésiastiques. Il exigea des Évêques
un serment par lequel ils s'engageraient d'observer cette constitution,
qui, selon lui, n'était que les anciennes coutumes du
royaume. Les Évêques ne refusaient pas le serment,
mais ils voulaient y joindre cette clause : sauf les droits
de leur ordre, clause qui déplaisait extrêmement
au roi ; il y avait, disait-il, un venin caché
sous cette restriction captieuse ; il voulait les forcer
à jurer purement et simplement qu'ils se conformeraient
aux anciennes coutumes royales. Les Évêques étaient
accablés et consternés de cet ordre tyrannique.
Mais Thomas, Archevêque de Cantorbéry, depuis honoré
de la palme du martyre, les encourageait à la résistance ;
il animait leur vertu chancelante, et les exhortait à ne
pas trahir les sentiments et les devoirs d'un Évêque.
" Cependant les persécutions et les violences
devenant de jour en jour plus insupportables, quelques Évêques
suppliaient l'Archevêque de Cantorbéry de relâcher
quelque chose de son inflexible fermeté, d'épargner
à son clergé les maux de l'exil, et à lui-même
les horreurs de la prison. Alors cet homme jusqu'à ce jour
invincible, que ni les caresses, ni les menaces n'avaient jamais
pu ébranler, moins sensible aux dangers qui le menaçaient
qu'au sort de son clergé, se laissa arracher du sein de
la vérité et des bras de l'Église sa Mère. "
Il jura, et son exemple fut suivi des autres Évêques ;
mais il ne tarda pas à reconnaître son erreur :
le plus vif repentir déchira son âme. " J'ai
horreur de moi-même, je déteste ma faiblesse, s'écriait-il
en gémissant, je suis indigne d'exercer l'auguste ministère
du sacerdoce sur l'autel de Jésus-Christ, après
avoir lâchement vendu son Église ; je resterai
donc enseveli dans le silence et dans la douleur, attendant que
la grâce du Ciel vienne me consoler, et que le Vicaire de
Dieu sur la terre m'accorde mon pardon. Hélas ! j'ai
donc asservi et déshonoré par mon crime cette Église
anglicane que mes prédécesseurs avaient gouvernée
avec tant de prudence et de gloire au milieu des dangers du siècle,
cette Église pour laquelle ils avaient livré tant
de combats, théâtre de tant de victoires et de triomphes
qu'ils avaient remportés sur les ennemis ! Autrefois
reine et maîtresse, elle est aujourd'hui, par ma faute,
réduite en esclavage ! Que n'ai-je disparu de dessus
la face de la terre avant d'avoir imprimé à mon
nom une pareille tache ! "
Thomas se hâta d'écrire au Pape ;
il lui découvrit sa plaie, et en demanda le remède.
Le Pontife, reconnaissant que Thomas avait été entraîné
dans ce serment, non par sa propre volonté, mais par une
indiscrète compassion, fut touché de l'expression
de son repentir, et lui accorda l'absolution. Thomas reçut
avec transport la lettre du Pape, comme si elle lui eût
été envoyée du Ciel même. Dès
lors, rien ne fut plus capable d'arrêter son zèle ;
il ne cessait de faire au roi des remontrances, et, mêlant
à propos la force à la
douceur, il ne négligea rien pour parer les coups que ce
prince se disposait à porter à l'Église.
Le roi n'eut pas plutôt appris que Thomas s'était
rétracté, qu'il écrivit au Pape pour lui
demander deux choses : la première, d'approuver ce
qu'il appelait les anciennes coutumes royales ; la seconde,
de transporter le privilège de légat apostolique
de l'Église de Cantorbéry à celle d'York.
Le Pape rejeta la première demande, comme on peut le voir
dans sa lettre à saint Thomas. Il accorda la seconde, parce
qu'il le pouvait sans blesser l'honneur et les droits du clergé ;
mais il écrivit à l'Évêque d'York pour
lui défendre d'exercer aucun acte de juridiction dans la
province de Cantorbéry, et d'y faire porter la croix devant
lui. Thomas s'enfuit d'abord en France, ensuite à Rome,
où il reçut l'accueil le plus favorable du Souverain
Pontife : il lui montra l'écrit contenant, en seize
articles, les anciennes coutumes royales. Elles furent examinées
et rejetées. Enfin, l'intrépide Thomas, de retour
en Angleterre, s'avance d'un pas ferme vers le supplice qu'on
lui réservait, plein du précepte de l'Évangile
qui dit : " Que celui qui veut venir après
moi se renonce lui-même, qu'il porte sa croix et me suive. "
Il ouvrit aux bourreaux les portes de son église, et, se
recommandant à Dieu, à la bienheureuse Vierge Marie,
et aux saints patrons de sa cathédrale, il reçut
plusieurs blessures à la tête et expira victime de
son zèle pour la gloire de Dieu et martyr des libertés
de l'Église anglicane. Ce récit est extrait des
Annales de l'Église d'Angleterre, par Arfold. (Tom.
IV, ab ann. 1054 ad 1171.)
Il n'y a personne qui ne soit frappé
de la parfaite ressemblance qui se trouve entre la conduite de
l'Assemblée nationale et celle de Henri II. Comme lui,
l'Assemblée nationale a porté des décrets
par lesquels elle s'attribue la puissance spirituelle ; comme
lui, elle a forcé tout le monde de jurer, surtout les Évêques
et les autres ecclésiastiques, et c'est à elle maintenant
que les Évêques sont obligés de prêter
le serment qu'ils prêtaient autrefois au Pape. Elle s'est
emparée des biens de l'Église, à l'exemple
de Henri II, à qui S. Thomas les redemanda avec instance.
Le Roi Très-Chrétien a été contraint
d'apposer sa sanction à ses décrets. Enfin les Évêques
de France, comme ceux d'Angleterre, ont proposé à
cette Assemblée une formule de serment dans laquelle ils
distinguaient les droits de la puissance temporelle d'avec ceux
de l'autorité spirituelle, protestant qu'ils se soumettaient
à ce qui était purement civil, et ne rejetaient
que les objets pour lesquels l'Assemblée était incompétente,
semblables à ces généreux soldats chrétiens
qui servaient sous Julien l'Apostat, et dont S. Augustin fait
l'éloge en ces termes (Enarr.,
in psalm. 124, n° 7, in fin., t. IV oper., pag. 1416,
edit. Maurin.) : " Julien
fut empereur infidèle, un insigne apostat, un détestable
idolâtre ; cependant il avait dans son armée
des soldats chrétiens qui lui obéissaient fidèlement ;
mais quand il était question des intérêts
de Jésus-Christ, ils ne reconnaissaient que les ordres
du Roi du ciel : si on leur commandait d'adorer des idoles,
de leur offrir de l'encens, ils préféraient Dieu
à l'empereur ; mais quand il leur disait : Rangez-vous
en bataille, marchez contre cette nation, ils obéissaient
sur-le-champ, car ils savaient distinguer le Maître éternel
du maître temporel. " Cependant l'Assemblée
nationale a rejeté ces restrictions, comme Henri II refusa
d'admettre la clause, sauf les droits de notre ordre. Les
nouveaux règlements prescrits par l'Assemblée nationale
pour la ruine du clergé, s'accordent de point en point
avec ceux que Henri II a adoptés.
Cependant elle ne s'est pas bornée
à imiter Henri II, elle s'est aussi piquée de marcher
sur les traces de Henri VIII ; car ce prince ayant usurpé
la suprématie de l'Église anglicane, en confia l'exercice
au Zuinglien Cromwel, et l'établit son vicaire général
dans tout ce qui concernait le spirituel ; il le chargea
de la visite de tous les monastères du royaume, et ce Cromwel,
à son tour, se reposa de ce soin sur son ami Cranmer, imbu
des mêmes principes que lui. Il n'oublia rien pour affermir
dans l'Angleterre la suprématie ecclésiastique du
roi, et pour engager la nation à reconnaître dans
ce prince toute la puissance que Dieu n'a donnée qu'à
son Église. Les visites des monastères consistaient
à les détruire, à les piller, à faire
une dilapidation sacrilège des biens ecclésiastiques,
et par là les visiteurs trouvaient le moyen de satisfaire
à la fois leur avarice et leur haine contre le Pape. Autrefois
Henri VIII affecta de soutenir que la formule de serment proposée
aux Évêques ne renfermait que la promesse d'une obéissance
temporelle et d'une fidélité purement civile, tandis
qu'en effet elle abolissait toute l'autorité du Saint-Siège ;
de même l'Assemblée qui domine en France a donné
à ses décrets le titre spécieux de Constitution
civile du clergé, quoiqu'ils renversent réellement
tonte la puissance ecclésiastique, et bornent la communication
des Évêques avec Nous à la simple formalité
de Nous donner avis de ce qui a été fait et exécuté
sans notre aveu. Qui pourrait ne pas voir que l'Assemblée
a réellement eu en vue les décrets des deux rois
d'Angleterre, Henri II et Henri VIII, et qu'elle s'est proposé
pour but de les faire passer dans sa Constitution : autrement
aurait-elle pu parvenir à une imitation aussi parfaite
des principes et de la conduite de ces deux princes ? S'il
s'y trouve quelque différence, c'est que les nouvelles
entreprises sont encore plus pernicieuses que les anciennes.
Après avoir comparé les deux
Henri avec l'Assemblée nationale, mettons maintenant l'Évêque
d'Autun en parallèle avec ses collègues, et, pour
ne pas trop Nous appesantir sur les détails, envisageons
seulement la constitution même qu'il a juré d'observer
sans restriction : cela suffira pour faire sentir combien
sa croyance diffère de celle des autres Évêques.
Ceux-ci, marchant sans reproche dans la loi du Seigneur, ont conservé
le dogme et la doctrine de leurs prédécesseurs avec
un courage héroïque ; ils sont restés
fermement attachés à la Chaire de S. Pierre ;
exerçant et soutenant leurs droits avec intrépidité,
s'opposant de tout leur pouvoir aux innovations, ils ont attendu
constamment notre réponse, qui devait régler leur
conduite. Comme ils ont tous la même foi, la même
tradition, la même discipline, ils l'ont tous confessée
de la même manière, et leur langage a été
uniforme. Nous restons immobile d'étonnement quand nous
voyons l'Évêque d'Autun insensible aux exemples,
aux raisons de tous les Évêques. Bossuet, Évêque
de Meaux, prélat très-célèbre parmi
vous, et auteur non suspect (Histoire
des variations des Églises protestantes,
lib. VII, n° 114, tom. III oper. edit. Paris. 1747),
avait fait avant moi une semblable comparaison entre S. Thomas
de Cantorbéry et Thomas Cranmer. Nous la transcrivons ici,
pour que ceux qui la liront puissent juger à quel point
elle ressemble au parallèle que Nous établissons
entre l'Évêque d'Autun et ses collègues :
" S. Thomas de Cantorbéry résista aux
rois iniques ; Thomas Cranmer leur prostitua sa conscience
et flatta leur passion. L'un banni, privé de ses biens,
persécuté dans les siens et dans sa propre personne,
et affligé en toutes manières, acheta la liberté
glorieuse de dire la vérité comme il la croyait,
par un mépris courageux de la vie et de toutes ses commodités ;
l'autre, pour plaire à son prince, a passé sa vie
dans une honteuse dissimulation, et n'a cessé d'agir en
tout contre sa créance. L'un combattit jusqu'au sang pour
les moindres droits de l'Église, et, en soutenant ses prérogatives,
tant celles que Jésus-Christ lui avait acquises par son
sang que celles que les rois pieux lui avaient données,
il défendit jusqu'au dehors de cette sainte cité ;
l'autre en livra aux rois de la terre le dépôt le
plus intime, la parole, le culte, les sacrements, les clefs, l'autorité,
les censures, la foi même ; tout enfin est mis sous
le joug, et toute la puissance ecclésiastique étant
réunie au trône royal, l'Église n'a plus de
force qu'autant qu'il plaît au siècle. L'un enfin,
toujours intrépide et toujours pieux pendant sa vie, le
fut encore plus à sa dernière heure ; l'autre,
toujours faible et toujours tremblant, l'a été plus
que jamais dans les approches de la mort, et, à l'âge
de soixante-deux ans, il a sacrifié à un misérable
reste de vie sa foi et sa conscience. Aussi n'a-t-il laissé
qu'un nom odieux parmi les hommes, et pour l'excuser dans son
parti même, on n'a que des détours ingénieux
que les faits démentent. Mais la gloire de S. Thomas de
Cantorbéry vivra autant que l'Église, et ses vertus,
que la France et l'Angleterre ont révérées
comme à l'envi, ne seront jamais oubliées. "
Telles sont les paroles de Bossuet.
Ce qui est beaucoup plus étonnant encore,
c'est que l'Évêque d'Autun n'ait point été
touché de la déclaration faite par le Chapitre de
son église cathédrale, le 1er décembre
1790 : comment n'a-t-il pas rougi d'avoir encouru le blâme,
et de recevoir des leçons de ce même clergé
auquel il devait l'exemple, et qu'il était fait pour instruire
et pour éclairer lui-même ? (*) Dans cette déclaration,
le clergé d'Autun, appuyé sur les vrais principes
de l'Église, s'élève contre les erreurs renfermées
dans la constitution du clergé, et s'exprime en ces termes :
" Le chapitre d'Autun déclare, 1° adhérer
formellement à l'exposition des principes sur la constitution
du clergé, donnée par MM. les Évêques
députés à l'Assemblée nationale, le
30 octobre dernier ; déclare 2° que, sans manquer
aux devoirs de sa conscience, il ne peut participer ni directement
ni indirectement à l'exécution du plan de la nouvelle
constitution du clergé, et notamment en ce qui concerne
la suppression des églises cathédrales ; et
qu'en conséquence, il continuera ses fonctions sacrées
et canoniales ainsi que l'acquittement des nombreuses fondations
dont son Église est chargée, jusqu'à ce qu'il
soit réduit à l'impossibilité absolue de
les remplir ; déclare 3° qu'en qualité
de conservateur-né des biens et des droits de l'évêché,
et en vertu de la juridiction spirituelle qui est dévolue
aux églises cathédrales pendant la vacance du siège
épiscopal, il ne peut consentir à une nouvelle circonscription
qui serait faite du diocèse d'Autun par la seule autorité
temporelle. "
* : Les curés du diocèse
d'Autun n'ont pas déployé moins de zèle et
d'énergie que le Chapitre, comme on peut le voir par leur
réponse à la lettre de leur Évêque,
insérée dans le Journ. Ecclés. de M. l'abbé
Barruel. Mars 1791.(Note de l'éditeur
- c'est-à-dire de
l'éditeur de l'ouvrage " Recueil des allocutions
consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques des
souverains pontifes Clément XII, Benoît XIV, Pie
VI, Pie VII, Léon XII, Grégoire XVI et Pie IX, citées
dans l'encyclique et le Syllabus du 8 décembre 1864 ",
deuxième édition, Paris, Librairie Adrien Le Clere
et Cie , rue Cassette, 29, près Saint-Sulpice,
MDCCCLXV, livre d'où cette traduction est numérisée.)
Nous ne voulons pas, au reste, laisser ignorer
à l'Évêque d'Autun et à ceux qui, dans
l'intervalle, auraient pu se parjurer à son exemple, ce
que l'Église prononça sur les Évêques
qui assistèrent au Concile de Rimini, et qui, cédant
à la crainte des menaces de l'empereur Constance, signèrent
la formule équivoque et captieuse imaginée par les
Ariens pour les tromper. Le Pape Libère les avertit que
s'ils persistaient dans cette erreur, il déploierait pour
les punir toute l'autorité que lui donnait l'Église
catholique. " (Epist.
Liber. ad cathol. Episc. in Fragment. ex oper. historic. S. Hilar.
Fragment. 12, pag. 1358, edit. Maurin.)
Saint Hilaire de Poitiers fit chasser de l'église d'Arles
l'Évêque Saturnin, qui soutenait avec opiniâtreté
la doctrine des Évêques ariens (Sulpic.
Sever. Histor. sac. lib. II, cap. XLV, tom. II, pag. 245,
edit. Veron.). Enfin, le jugement de
Libère fut confirmé par saint Damase, dans une lettre
synodale publiée dans un Concile de quatre-vingt-dix Évêques,
afin que les Évêques mêmes de l'Orient pussent
rétracter publiquement leurs erreurs, s'ils voulaient être
catholiques et passer pour tels. " Nous croyons, dit
saint Damase, que ceux à qui leur faiblesse ne permet pas
de faire une pareille démarche, doivent être au plus
tôt séparés de notre communion et privés
de la dignité épiscopale, afin que les peuples de
leur diocèse puissent respirer à l'abri de l'erreur. "
(Epist. ad Epis. Illyricos,
epist. III, n° 2, apud Coustan., pag. 482 et 486.)
On ne peut nier que l'Évêque d'Autun et ses imitateurs
ne se soient mis dans le même cas que les Évêques
condamnés par Libère et Damase. C'est pourquoi,
s'ils ne rétractent pas leur serment, ils savent à
quoi ils doivent s'attendre.
Les idées et les sentiments que Nous
venons de développer, ce n'est pas notre esprit particulier
qui Nous les a suggérés ; Nous les avons puisés
dans les sources les plus pures de la science divine. C'est à
vous maintenant que Nous Nous adressons, nos très-chers
Frères, objet de nos plus tendres sollicitudes, vous qui
faites notre joie et notre couronne ; vous n'avez pas sans
doute besoin d'être animés par des exhortations,
puisque Nous Nous glorifions de la foi courageuse que vous avez
fait éclater dans les tribulations, dans les disgrâces
et les persécutions ; puisque vos savants écrits
ont prouvé que votre refus d'adhérer aux décrets
de l'Assemblée était fondé sur les plus fortes
raisons. Cependant dans ce siècle malheureux, ceux même
qui paraissent le plus affermis dans les sentiers du Seigneur
doivent prendre toutes les précautions possibles pour se
soutenir. Aussi, en vertu des fonctions pastorales dont Nous sommes
chargé malgré notre indignité, Nous vous
exhortons à faire tous vos efforts pour conserver parmi
vous la concorde, afin qu'étant tous unis de cur,
de principes et de conduite, vous puissiez repousser avec un même
esprit les embûches de ces nouveaux législateurs,
et, avec le secours de Dieu, défendre la religion catholique
contre leurs entreprises. Rien ne pourrait contribuer davantage
au succès de vos ennemis que la division qui se mettrait
parmi vous : un parfait accord, une union inaltérable
de pensées et de volonté est le plus ferme rempart
et l'arme la plus redoutable que vous puissiez opposer à
leurs efforts et à leurs complots. Nous empruntons donc
ici les expressions dont se servait mon prédécesseur
saint Pie V, pour animer le Chapitre et les chanoines de Besançon
(Epist. 6, lib. III, edit. Antuerp.,
1640) réduits à la même
situation que vous : Que votre âme soit inébranlable
et invincible : que ni les dangers ni les menaces n'affaiblissent
vos résolutions. Rappelez-vous l'intrépidité
de David en présence du géant et le courage des
Machabées devant Antiochus ; retracez-vous Basile
résistant à Valens, Hilaire à Constance ;
Yves de Chartres au roi Philippe. Déjà, pour ce
qui Nous concerne, Nous avons ordonné des prières
publiques ; Nous avons exhorté le roi à refuser
sa sanction ; Nous avons averti de leur devoir les deux Archevêques
qui étaient de son conseil ; et, pour calmer et adoucir
autant qu'il était en notre pouvoir les dispositions violentes
dans lesquelles était ce qu'on nomme parmi vous le tiers
état, nous avons cessé d'exiger le payement
des droits que la France devait à la chambre apostolique,
d'après les anciennes conventions qu'un usage invariable
avait confirmées. Ce sacrifice de notre part n'a pas été
senti comme il devait l'être ; et Nous avons eu la
douleur de voir quelques membres de l'Assemblée nationale
allumer, répandre et entretenir dans Avignon le feu d'une
révolte contre laquelle Nous ne cesserons de réclamer
et d'invoquer les droits du Saint-Siège. Nous n'avons point
encore jusqu'ici lancé les foudres de l'Église contre
les auteurs de cette malheureuse constitution du clergé ;
Nous avons opposé à tous les outrages la douceur
et la patience ; Nous avons fait tout ce qui dépendait
de Nous pour éviter le schisme et ramener la paix au milieu
de votre nation ; et même encore, attaché aux
conseils de la charité paternelle qui sont tracés
à la fin de votre exposition, Nous vous conjurons de Nous
faire connaître comment Nous pourrions parvenir à
concilier les esprits. La grande distance des lieux ne Nous permet
pas de juger quels sont les moyens les plus convenables ;
mais vous, placés au centre des événements,
vous trouverez peut-être quelque expédient qui ne
blesse point le dogme catholique et la discipline universelle
de l'Église. Nous vous prions de Nous le communiquer, pour
que nous puissions l'examiner avec soin et le soumettre à
une mûre délibération. Il Nous reste à
supplier le Seigneur de conserver longtemps à son Église
des pasteurs aussi sages et aussi vigilants ; Nous accompagnons
ce vu de notre Bénédiction apostolique, que
Nous vous donnons, nos chers Fils et Vénérables
Frères, du fond du cur et dans l'effusion de notre
tendresse paternelle.
Donné à Rome, à Saint-Pierre,
le 10 mars de l'année 1791, la dix-septième de notre
Pontificat.
Signé :
PIE.
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